Chapitre 25

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« Les petits anges deviennent de grands diables. »

-Proverbe américain


Chesna crut perdre la tête et ce qui lui restait de raison. Le désir la surprit et s'éveilla à la caresse douce, mais ferme de ce baiser. Mise en déroute, elle ne chercha pas à trouver les mots pour qualifier ce qui la consumait. Le feu brûlait, léchait ce corps neuf et y insufflait une envie qu'elle avait su ignorer jusqu'à la penser inexistante. Mais le désir ne se niait pas, il s'imposait et, en cet instant, il introduisait la nécessité absolue de cet être pressé contre le sien à deux pas d'une tombe. Le cœur se déliait et fuyait ce que la volonté jugeait primordial. Au diable la pensée, au diable les justifications ! Elle s'en encombrait plus tard s'il le fallait, il serait alors toujours temps de regretter.

À bout de souffle, rendue haletante par ce langoureux baiser, Chesna se délivra à regret de cette délicieuse étreinte. Face à elle, les joues rosies, Adonie lui paraissait comme une apparition céleste. Un ange d'une beauté digne des songes et pourtant bien réel. L'auréole de ses cheveux dorés, l'étroitesse de son visage, sa bouche fine, mais rougie par leur baiser, elle émanait quelque chose de saisissant. Émue par ce visage si près du sien, la démone murmura :

— Dis-moi que je peux avoir confiance en toi. Dis-moi que tu ne disparaîtras pas comme tout le reste.

Adonie parut surprise, sans doute car ces paroles ne correspondaient que trop peu à ce que Chesna l'avait habituée. Ce visage vulnérable derrière la force insolite de son corps fabriquait un contraste saisissant, mais séduisant. La bouche sèche, elle dévisagea longuement l'apparence de la créature et se surprit à la penser sublime. La fille du Diable imposait une folle prestance, de ce qui échappait encore à sa propriétaire. Cette dernière qui ignorait qu'elle se trouvait désormais entière, complète et qui ne savait qu'en souffrir. Elle connaissait un certain répit dans les bras de l'ange, dans l'exaltation de sentiments interdits et proscrits par les lois qui régissaient ce monde.

— Tu peux me faire confiance, jura alors l'ange et ses mots la blessèrent.

Elle souhaitait que rien ne vienne enlaidir la perfection de cet instant, que cette promesse demeure aussi pure, mais l'illusion se troubla jusqu'à disparaître. Une ombre menaçante se glissa à la surface du tableau et assombrit l'ensemble de la peinture.

Deux silhouettes apparurent derrière Chesna et s'invitèrent brusquement dans le champ de vision d'Adonie. Deux silhouettes qui lui glacèrent le sang. Deux anges armés jusqu'aux dents avec la ferme intention d'en découdre avaient quitté le refuge céleste dans un but bien précis. Leur apparition fut si soudaine qu'elle en parut presque caricaturale, grotesque. Ils s'apprêtaient à les prendre de surprise, à les attaquer de revers afin de gagner un avantage colossal. Adonie s'écarta trop tardivement pour mener une offensive efficace, déjà l'un d'eux grondait :

— Occupe-toi de mater la fille, moi je m'occupe de la vermine !

Ainsi, un de ses pairs se dressa face à elle, pensant l'empêcher de s'élancer à la rescousse de la démone. L'ennemi était de haute taille et Adonie le connaissait suffisamment pour pouvoir se jouer de ses failles. Elle déploya ses ailes comme atout, consciente que cette démonstration de force ne saurait impressionner son adversaire du jour. Du coin de l'œil, elle s'assura que Chesna ne se trouvait pas en position de faiblesse. Malgré la surprise qui lui avait fait perdre de précieux instants, la créature tenait tête à son assaillant.

Adonie rendit coup après coup ceux qui lui étaient infligés. Ses ailes servaient d'arme improvisée et fauchaient tantôt des jambes, tantôt l'air dans un claquement sec. La combattante d'élite se mesurait à un soldat à la hauteur de son talent. Asmodel n'avait pas envoyé de petits joueurs mettre la main sur sa fille, mais bel et bien la crème de leur espèce. Une élite savante qui parvenait à arrêter chaque coup, à esquiver chaque offensive pour en faire un avantage. L'ange qu'elle combattait se révélait d'une agilité proprement surhumaine, mais il dépensait une énergie excessive à impressionner son adversaire. Il ne se ménageait pas, esquiva une attaque virulente de la part d'Adonie en vrillant sur le côté pour atterrir sur ses pieds en un enchaînement de gestes méticuleusement inutile.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant