Chapitre 46

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« J'ai vu un ange dans le marbre

Et j'ai seulement ciselé jusqu'à l'en libérer. »

-Michel-Ange


Oghnyann se liquéfiait sous l'effet d'une peur vile. Jamais il n'avait été aussi effrayé, pas même lorsque la mort s'apprêtait à l'étreindre. Il aurait tant aimé protéger ce qu'il avait réussi à forger, une relation toute nouvelle, mais forte, une vie libre où il n'aurait plus à obéir à quiconque, mais rien de cela ne lui appartiendra jamais.

Le cristal brillait, elle irradiait même, instable et prête à détruire de ses rayons toute existence alentour. Il se situait à moins d'un mètre de cette source quasi inépuisable d'énergie pure, il en serait la première victime si le déséquilibre plongeait cette Terre dans le chaos.

Dans le véritable chaos.

Le Chasseur désespérait. Chesna ne viendrait pas, il ne guettait même plus sa silhouette aux quatre coins de la pièce, au milieu des cadavres des cerbères qui protégeaient le joyau. Le monde courait à sa perte et son seul regret, aussi misérable soit-il, restait qu'il se situait bien loin de Cyriel. Il l'abandonnait en voulant sauver ce qui pouvait encore l'être. Un sens du sacrifice vain qui le poussait à fuir son poste et à courir au chevet de l'ange. Il demeurait pourtant prostré là, le regard figé sur la lueur rougeoyante de la sphère, sur cette beauté hypnotique et mortelle. Une fascination obscure pour la mort la plus belle qui ne fut jamais.

Soudain, les crépitations qui entouraient la couche protectrice du cristal s'intensifièrent anormalement, tirant le démon de sa léthargie. Il se redressa. Que pouvait-il faire ? Il n'était pas doté de pouvoirs tels que ceux de Chesna, ou même d'Adonie ou Cyriel. Il était incapable de maintenir l'équilibre instable de cette gemme. La regarder ainsi ne le sauvait pas et il en avait douloureusement conscience. Il était un guerrier, mais ses capacités n'englobaient pas une telle maîtrise et il maudit Adonie pour l'avoir quitté sur une excuse aussi sordide.

Cela s'éternisa près d'une minute avant qu'une nouvelle silhouette ne se dessine, comme sortie du cœur de l'Enfer. Le corps perclus de tensions abominables, rongé par la peur de cette mort, Oghnyann crut d'abord au retour de son ancien maître. La peau vermeille l'induire en erreur et ce ne fut que lorsqu'il rencontra les prunelles dorées, et tout aussi étonnées que les siennes, qu'il reconnut l'identité de l'intruse.

Chesna était vivante et intacte, une lueur résolue, mais indestructible inscrite à l'encre des massacres auxquels elle avait réchappé.

— Je... J'ai surveillé le cœur.

Rares étaient ceux qui avaient, au cours de leur vie, surpris un bégaiement de la part du Chasseur. Celui-ci, malgré sa peau aussi foncée que l'ombre, paraissait livide. Il n'avait pas été témoin des tueries, mais en devinait aisément les résultats.

— Merci.

— Où est le Diable ?

— Mort. Je l'ai tué.

Une gifle aurait été sûrement moins surprenante que ces paroles. Mort ? Jamais Oghnyann n'avait pensé que cette créature puisse posséder la moindre vulnérabilité. Il avait été tué des mains de sa propre fille. Le sort s'acharnait, gagnant de cette joute, spectateur amusé de leurs vaines tentatives de survivre.

Le Chasseur s'octroya quelques secondes pour remettre de l'ordre dans le capharnaüm de ses pensées. Avait-il déjà envisagé la réussite de Chesna ? Il l'avait probablement sous-estimée, mais il connaissait surtout son ancien maître et l'idée que quelqu'un puisse le vaincre, fût-elle sa fille, n'avait rien de rationnel. Pourtant, la démone avait accompli un miracle et, soudain, Oghnyann se surprit à espérer. L'espoir gonfla son cœur à la manière d'une intense chaleur, proche de la brûlure. Parviendraient-ils à s'en sortir indemnes ?

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant