Chapitre 10

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« Les hommes recouvrent leur diable du plus bel ange qu'ils peuvent trouver. »

-Marguerite de Navarre


— Où est la démone, Adonie ? la pressa immédiatement l'archange, d'une voix qui trahissait son impatience et sa déception imminente.

— Elle...

Adonie avait cessé de respirer, ses ailes gracieuses toujours étendues pour projeter une lumière douce dans la pénombre. La grange était habitée de cet éclat surnaturel, mais il n'appartenait pas à la démone. Chesna avait déserté les lieux, mais était-ce de son plein gré ou sous la menace ? Rien n'était moins sûr. Un creux se forma dans la poitrine d'Adonie et la sensation d'avoir été trahie, aussi démesurée soit-elle, la traversa.

— Où est-elle ? Où est Chesna ? articula le créateur de la jeune femme et le courroux vibra dans son timbre puissant.

— Je l'ignore. Je n'aurais jamais dû la laisser à la merci des démons.

— Je requérais ta présence, Adonie, il était hors de considération que tu l'ignores.

— Si j'étais restée à ses côtés, elle...

Elle interrompit ses paroles. Quelque part, le soulagement exultait et elle était incapable de mentir et même si elle l'avait souhaité, ignorer l'appel de son paternel aurait été inenvisageable. La douleur n'aurait pas tardé à côtoyer l'insupportable et aurait abattu toutes ses défenses jusqu'à la dernière. Les anges étaient liés les uns aux autres de la même manière et, plus solide qu'un serment, cette entrave dissuadait quiconque souhaiterait échapper au joug des archanges. La hiérarchie qui les soumettait à leurs ordres faisait force de loi aux yeux de tous.

— La démone aurait très bien pu s'enfuir sans surveillance.

Une réflexion qui avait effleuré l'ange quelques instants auparavant. Elle ne préférait pas l'envisager, consciente que son aîné se montrerait d'autant plus intransigeant en pareil cas. Plantée au beau milieu de cette grange poussiéreuse, Adonie se maudissait pour les choix hasardeux qui avaient été les siens. Elle maugréa des injures à l'encontre de Chesna qui ne lui rendait pas la tâche facile et pria pour que son géniteur ne trouve pas cette situation suffisamment sordide pour libérer ses pairs sur le monde des humains. Les anges savaient se faire discrets, mais si une menace trop importante venait à croître, une intervention de masse serait décidée et Chesna n'y survivrait pas.

Le vent claquait contre la façade de la bâtisse qui semblait sur le point de s'effondrer. Des bourrasques puissantes qui poussaient à l'énervement, aux éclats de colère qu'Adonie savait prêts à sourdre.

— C'en est assez ! siffla Asmodel, toujours légèrement en retrait. Il est hors de question de s'abaisser aux enfantillages du rejeton de notre ennemi juré. Je vais envoyer une délégation angélique mettre la main sur elle, qu'on en finisse !

— Attendez, père !

Elle faillit se jeter dans sa direction pour lui saisir le bras, mais son créateur ne l'aurait pas accepté. Ce genre de contacts physiques étaient proscrits par nature et les anges n'étaient pas des êtres réputés pour leur affection, Asmodel encore moins. Il n'avait jamais été un père protecteur et considérerait un tel geste comme une offense plus que comme une forme maladroite d'attachement.

Le regard d'Adonie venait de rencontrer la solution improbable et potentielle à cette situation. Sur le bord de la fenêtre, aux carreaux si sales qu'ils ne laissaient entrevoir l'extérieur, une colombe aux plumages délicats se dressait. Elle inclina la tête sur le côté lorsque l'ange lui rendit une œillade saturée d'espoirs. Face à l'archange, la créature alla même jusqu'à pousser la révérence.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant