Chapitre 14

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Adonie ne songea même pas à riposter. Elle se défendrait pourtant jusqu'à son dernier souffle si la démone venait à déchaîner sa puissance sur elle. Elle protégerait sa vie et préserverait celle de Chesna, quoi qu'il lui en coûte.

Allez, ne fais pas la timide, je suis sûre que tu as des tas de choses à me raconter !

— Je n'ai besoin de l'aide de personne, siffla l'ange, à demi-consciente que cette répartie était nettement inférieure à celle qu'elle témoignait d'ordinaire.

Je vois ça, grinça la démone, sans se dépourvoir de son rictus cynique.

Elle s'était penchée sur le corps de Chesna, évaluant mentalement l'étendue des dégâts. Son regard inquiétant étudia minutieusement la jeune femme au fur et à mesure que le sien s'assombrissait. Elle tiqua avant de retourner l'intéressée sur le dos, faisant fi de l'exclamation d'Adonie :

— Je te défends de la toucher !

— Tu me défends de rien du tout ! la rabroua l'autre, sans lui adresser le moindre regard, poursuivant son analyse. Un ange perdu au beau milieu de l'Enfer ferait mieux de faire profil bas. Surtout si tu ne veux pas que je t'abandonne aux bestioles qui traînent dans le coin. Ou mieux ! Que je vous tue toutes les deux.

Cette logorrhée suffit à imposer le silence à Adonie. Jamais personne en dehors d'Oghnyann n'avait osé s'adresser à elle d'une telle façon. Si elle pouvait se montrer impulsive dans une pareille situation, elle n'en demeurait pas moins lucide. Et bien loin des tendances suicidaires qu'on pouvait lui prêter. Elle se tut donc, laissant cette aide inattendue et toujours incertaine, examiner sa protégée sous toutes les coutures. Une pointe de jalousie, incompréhensible et déplacée, lui poignarda le cœur au même titre que la terreur. Un cocktail enivrant qui l'abandonnait pantelante, impotente, et d'une cruelle impuissance.

Cela dit, je ne suis pas sûre d'avoir besoin de l'aider à mourir. On dirait qu'elle s'en sort très bien toute seule.

C'en fut trop. Adonie se jeta entre les deux démones pour asséner un coup sur le bras tendu de l'inconnue. Celle-ci ricana face à cette intervention stupide et provoqua encore le courroux de l'ange, la poussant dans ses retranchements, satisfaite de la voir tomber si facilement dans son jeu :

— Hé, range tes griffes ! Décidément, les anges ont un instinct de survie proche de zéro. C'est désolant !

— Ne pose plus tes mains sur elle ! Et je n'ai aucune envie de... te faire la conversation ! Si tu as envie de te défouler, va droit au but, et si tu n'es là que pour te divertir, passe ton chemin !

Je rêve ! Tu es chez moi, ici ! riposta la créature qui, dans sa manière de badiner, ressemblait à s'en méprendre à une adolescente.

Les dessins qui parcouraient l'épiderme de son visage démentaient cette jeunesse, ou du moins semblaient prétendre le contraire. Son regard inqualifiable lui conférait également une sorte de maturité dangereuse. La joute verbale à laquelle elle se prêtait, et qu'elle pouvait se vanter de dominer sans mal, aurait pu durer des heures entières. Ce fut pourtant elle qui y mit fin, bien moins hostile à cette ange sans défense que ne l'était cette dernière devant une créature bénéficiant de l'avantage d'un terrain connu et favorable.

Les deux ennemies étaient comme chien et chat, il n'existait aucun terrain d'entente possible. Voilà des millénaires que leurs deux espèces se déchiraient dans une guerre sans fin, et l'animosité qu'elles s'inspiraient s'en voyait justifiée. Seule la vie de Chesna pouvait encore les réconcilier temporairement, les rassembler sur un objectif commun, un but qu'elles auraient presque honte de partager.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant