Au diable les anges

Chapitre 13

« La foi : une croyance absurde dans l'éventualité de l'improbable. »

-Henri Louis Mencken

Adonie désespérait après moins d'une heure passée dans cet Enfer.

En Enfer.

L'aura malfaisante des lieux contaminait chacune de ses pensées et s'accrochait à son âme. Une gangrène lente qui étranglait l'humanité, la sienne. Tout ceci, ce décor désertique et la chaleur étouffante qui s'en dégageait, lui rappelait des souvenirs pénibles. Ceux d'un séjour prolongé dont les stigmates marquaient encore son épiderme. Les dunes à perte de vue, les squelettes d'arbres morts, la comparaison avec le paradis était si simple. L'Enfer prenait ainsi l'allure d'un envers, un envers monstrueux, difforme, une reproduction malhabile sculptée des mains de Satan lui-même. La créature esseulée avait modelé cet envers stérile à l'image de son âme et Adonie en eut conscience en dévisageant longuement ce reflet dégoulinant.

Chesna n'avait pas repris connaissance, toujours allongée sur le sol brûlant d'où s'élevaient des nuages de poussière. L'ange avait vérifié son pouls, presque convaincue de veiller sur cette surprenante protégée comme son frère l'avait demandé et pas encore tout à fait consciente qu'elle le faisait avant tout pour elle. Jamais elle n'aurait pu imaginer mettre sa propre existence en péril pour une représentante d'une race ennemie. Une représentante, certes, mais pas n'importe laquelle d'entre elles et si Adonie avait été moins droite, moins honnête, elle aurait pu tenter un marché avec Satan et lui faire promettre bien des choses sur la vie de sa précieuse progéniture.

Piégée aux confins de cette terre hostile, Adonie se sentait comme un passager indésirable. Cette terre rouge et sableuse lui collait à la peau et elle suffoquait. Prisonnière bien malgré elle de ce monde qui ne lui inspirait guère plus qu'un puissant dégoût, aucune porte de sortie ne se dessinait à l'horizon. Pas même un vague espoir d'en réchapper vivant, de tirer au moins ses os de là, et au diable les sacrifices et l'humanité dans tout ceci ! Rien qui ne vaille la peine de se battre. La seule chose à laquelle l'ange pouvait encore daigner se raccrocher se résumait à la silhouette inerte de la démone. La fille du Diable, cadeau inopportun tombé du ciel et orpheline sur Terre.

Adonie ne pouvait concevoir de contacter son paternel depuis l'Enfer. L'endroit de tous les mythes, situé dans les entrailles de la planète, absorbait les flux énergétiques qui essayait de s'en échapper. Ces lieux représentaient la prison la plus efficace qui n'eut jamais été créée. Malgré des essais, une concentration mise à rude épreuve et des tentatives vouées à l'échec, rien ne fut concluant. Un silence entrecoupé de plaintes sorties de nulle part répondit à ses appels. Asmodel n'entendrait pas sa fille supplier qu'il lui vienne en aide pour la seconde fois de son existence. Son enfant n'avait personne sur qui se reposer si ce n'était elle-même. Une bien maigre assurance pour celle dont le fort caractère fondait au creux de ces étendues désertiques. Adonie qui s'était tant battue pour que chacun la traite en guerrière tremblait, misérable.

Chesna finit par se libérer de cette inconscience lourde de menaces. L'esprit embrumé par ce sommeil forcé et le corps courbaturé par le voyage, elle lutta pour se redresser. Elle tira, par ce geste laborieux, son homologue féminin de sa morose léthargie. La démone, déboussolée, peina à reconnaître le lieu où elle reposait. La vision quasi apocalyptique qui se dévoilait à son regard suffit à lui mettre la puce à l'oreille. La terreur la faucha alors que son corps, dont l'enveloppe charnelle qu'elle ressentait n'était que le fruit d'un réflexe de son esprit perturbé, subissait de plein fouet l'essence des lieux. Cette essence, comme une ambiance qui vous colle à la peau, fit écho à la véritable nature de celle qui, il y avait bien peu de temps, se croyait encore humaine. Elle se tendit, encaissant cet impact sans un son. En réalité, son corps n'avait pas réellement survécu au périple.