Chapitre 27

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« Nous sommes riches aussi de nos misères. »

-Antoine de Saint-Exupéry


Adonie apparut au beau milieu de l'endroit où son père l'avait accueillie la veille. Les hautes colonnes qui l'entouraient et formaient une allée infinie, semblaient faire écho aux barreaux qui l'emprisonneraient bientôt. La perfection de ces lieux, de l'accueil clinquant du paradis, la combla d'une peur aiguë. Comment un décor aussi pur, aussi somptueux, pouvait-il renfermer une telle intolérance ? Elle y avait vécu tant d'années sans même réaliser ce qui la répugnait désormais. Ces murs immaculés qui formaient l'entrée du temple, lieu sacré dans lequel les anges de haute naissance avaient pour habitude de se réunir, lui apparaissaient sous un tout autre visage.

Elle ferma les yeux un court instant et se laissa bercer par le silence. Un silence qu'elle savait éphémère et qu'elle chérissait. Elle était chez elle et, pour quelques secondes, le paradis ne lui était pas encore hostile. Par ses actes, elle devenait l'ennemie de ses pairs. Au nom de quoi exactement ? De quel droit se le permettait-elle ? Après une telle trahison, elle n'aurait plus d'endroit où se terrer, plus de « chez elle », plus de lieu où couler des jours heureux. Son immortalité se ferait le fardeau d'un être maudit et misérable.

Elle serra fort les paupières dans l'espoir que cette réalité se disperse, se déploie jusqu'à disparaître. Un sourire triste ourla ses lèvres tandis qu'un son infime se superposa au silence. Le rictus défait de la vaincue. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, doucement, avec une précaution désuète, l'inévitable se produit.

Une dizaine d'anges l'entouraient, le tranchant de leurs armes pointé dans sa direction. Plus loin, la silhouette grave et autoritaire de son créateur se détachait. Adonie n'octroya pas le moindre regard à ses congénères et à leur visage déformé par la haine ou le triomphe. Elle soutint à peine les yeux d'Asmodel lorsqu'il clama :

— Emmenez-la !

***

Adonie se berçait dans la crasse du cachot. Son regard se perdait sur ce que les barreaux ne lui permettaient pas de voir. Elle avait été installée dans les cellules réservées aux coupables des pires crimes et non dans celles qu'occupaient les anges coupables de manquements mineurs. Son statut lui aurait sans doute valu d'élire domicile dans une de ces pièces ridiculement propres, toujours impeccables et d'une blancheur éclatante, mais ce droit lui avait été refusé. La traîtrise était un acte impardonnable aux yeux des anges, comme s'il valait mieux tuer un homme plutôt que de manquer à son devoir.

Cette condamnation prématurée avait dû être négociée par l'archange, Adonie en était tristement persuadée. Il voulait lui prouver qu'elle ne méritait pas un pareil traitement de faveur et que, désormais, elle serait jugée à la hauteur du crime qu'elle avait commis. Le message délivré était pourtant clair et c'était la raison pour laquelle Adonie croupissait depuis deux heures dans cet espace clos et répugnant. Un lieu entachait la réputation des anges, mais ces dernières refusaient de faire l'honneur d'un lieu propre aux démons qu'ils faisaient prisonniers. Voilà donc à quoi la fille d'Asmodel était réduite, à une telle honte, à un tel déshonneur. L'archange devait se sentir humilié d'avoir pour fille un être capable de pactiser avec l'ennemi. Il n'y avait pas plus outrage plus grand que celui-là.

Soudain, une silhouette s'invita dans le champ de vision réduit de la captive. Elle ne frémit même pas et refusa de donner ce plaisir à celui venu la tourmenter. L'homme la dominait de toute sa hauteur alors qu'elle gisait à même le sol, ses vêtements blancs souillés par la saleté de la geôle.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant