Au diable les anges

Chapitre 23

« Qui a rejeté son démon nous importune avec ses anges. »

-Henry Michaux

Allongée sur le canapé, Adonie laissait ses pensées vagabonder bien au-delà des limites de son être. Elle songeait à Chesna et à son corps, justement, ce corps neuf. Elle songeait aux événements qui, ces dernières heures, s'étaient enchaînés sans que l'ange n'ait le loisir d'y imposer son sceau. Même dans la quiétude de la nuit, elle ne parvenait pas à effacer ces sinistres réflexions et à trouver le sommeil.

Elle montait la garde et surveillait les alentours d'un œil qu'elle ne pouvait espérer moins vigilant. Si qui que ce soit tentait de s'infiltrer en ces lieux, elle en serait la première informée. Avant que Jeanne ne regagne le village, par mesure de sécurité pour la retraitée qui faisait une proie facile, il avait été décidé que se tiendrait, dans les plus brefs délais, une prétendue réunion destinée à estimer l'envergure des ennuis qui les guettaient et de la manière dont ils affronteraient la situation. Pour l'heure, chacun était encouragé à récupérer de la journée harassante qu'ils venaient de traverser. Mais qui, au juste, pouvait espérer bénéficier de la pitié de Morphée en cette fraîche nuit printanière ?

Une brûlure naquit. Une sensation qui s'amplifia sans attendre et qui ne laissa plus la place au doute. Le bracelet en or de son poignet gauche atteignait une chaleur intolérable et Adonie en oublia toute intention de s'endormir. Ce signal ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose : son père l'appelait à lui. Pourquoi n'y avait-elle pas songé plus tôt ? Peut-être par confort, par peur des terribles remontrances qui la guettaient désormais. La gorge nouée, mais fidèle au devoir qui la reliait à son géniteur, elle se releva d'un bond. L'archange n'attendrait pas et se dérober une fois de plus était vain, elle en avait pleinement conscience. Déterminé à y faire face, quelle que soit la sentence, l'ange vit apparaître des ailes immaculées dans son dos. Une présence mythique qui dénotait avec l'ordinaire de cette maison.

Elle ferma les yeux, appela ses forces déjà bien affaiblies et les rassembla en un bloc. Lorsque la concentration d'énergie, qui la fit briller comme une étoile mourante, atteignit un niveau suffisant, elle laissa son pouvoir éclater et se disperser en tout sens. Une bulle de savon qui n'émit pas un son. Le corps d'Adonie s'évanouit en un instant.

***

Aucun instant de répit ne fut accordé à l'ange. Elle n'eut pas le loisir de souffler. Déjà, la silhouette charismatique et menaçante se dessinait face à elle. Par réflexe plus que par obligation, Adonie courba l'échine en une révérence respectueuse. Malgré la peur qui lui rongeait les entrailles, elle conserva un semblant de contenance et sauva les apparences.

Asmodel, ce géant à la juste férocité, la surplombait de toute sa haute taille. L'archange ne paraissait pas souhaiter s'étendre en banalités et l'expression de gravité mêlée de mécontentement qui couvrait ses traits acheva d'inquiéter sa progéniture. Sa création qui ne tarderait pas à regretter le moindre de ses actes sous le coup de ses remontrances. Les cheveux blancs de l'être n'atténuaient en rien la sévérité que transpirait ce corps bâti et sculpté.

— Père... murmura Adonie, en guise de salutation.

— J'attends tes explications de pied ferme et j'ose espérer pour ton avenir parmi nous qu'elles seront meilleures que ce que les apparences laissent entendre.

Elle ouvrit la bouche avant de la refermer. Les explications qu'elle s'apprêtait à donner ne rempliraient jamais les exigences d'Asmodel et Adonie ne pouvait le nier. À quoi bon se répandre en justifications lorsque le résultat ne pouvait être que défavorable ? Soudain lasse, les épaules de l'ange semblaient s'écraser sous le poids de ses malheurs et de ses responsabilités.