Chapitre 33

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« Satan était le plus beau des anges »


Le temps parut s'étirer jusqu'à taquiner l'infini. Asmodel réagit en premier, ivre de fureur et autour de ses mains crépita une énergie vieille comme le monde. Il envoya une sphère en direction de celui qui venait d'écourter leur jugement. Samaël l'arrêta sans même esquisser un seul geste. Une barrière noire, sorte de bouclier qui l'entoura momentanément, se dressa et annihila l'offensive sans trahir le moindre effort.

C'est tout ? Eh bien, mon cher, il semblerait que les siècles aient altéré tes maigres pouvoirs !

— Ne nous provoque pas, démon ! Tu es puissant, soit, personne ici n'ira prétendre le contraire, mais tu es seul et nous sommes trop nombreux pour que tu espères t'en sortir.

Il n'était pas question de sacrifier quelques précieuses secondes en bavardage et la vitesse des paroles et des coups en témoignaient. Le sourire du Diable ne fana pas, bien au contraire. Chesna l'observait, incertaine quant aux émotions qui l'envahissaient. Il venait la tirer de cette mauvaise passe et elle ne parvenait pas à être entièrement soulagée. Adonie s'approchait d'elle, non sans bousculer les corps entassés de ses pairs et leur arrachait d'infimes protestations. La plupart des anges étaient trop jeunes pour avoir connu la figure emblématique et terrifiante qui les narguait aujourd'hui. Ils auraient dû témoigner une certaine animosité, renchérir d'une même voix, mais personne n'en trouvait le courage. Ils étaient immobiles, silencieux, prêts à recevoir leur châtiment sans une plainte. Les juges se faisaient victimes et le sort de la coupable ne paraissait soudain plus si désespéré.

Seul Asmodel et les quelques archanges faisaient encore preuve d'un semblant de vivacité et de bravoure, mais chaque mot manquait cruellement de consistance.

— Nous ne t'avertirons qu'une fois, démon : pars, pars vite ou apprête-toi à subir la colère céleste !

Si cette exclamation sonna creux, le rire déchaîné qu'il entraîna suffit à balayer toute crédibilité. Le Diable se gaussait de l'impuissance, de cette honteuse couardise et comptait bien en faire un solide atout.

Non. Vous détenez quelque chose qui m'appartient et je ne repartirai pas sans elle, même si je dois détruire ce morceau de paradis.

— Tu n'as jamais pu revenir ici, comment as-tu pu...

Idiots que vous êtes ! Vous me faites honte ! Elle est ma fille, n'avez-vous donc pas pensé, ne serait-ce qu'un seul instant, qu'en l'invitant aimablement à prendre le thé avec vous autres, vous m'ouvririez la porte ? Merci, merci ! Votre stupidité m'a grandement facilité la tâche !

Asmodel blêmit de rage, les poings serrés. Mais où était donc passé la sagesse angélique, toutes ces belles vertus qu'on leur prêtait volontiers ? Là où la haine naissait, il n'y avait plus rien à louer. L'humiliation était cuisante. L'âme pervertie par la soif de vengeance n'était plus qu'une loque, un amas de chairs employé à déployer le mal. De ce fait, l'homme était l'égal du démon, l'être qui l'avait engendré et le démon était l'égal de l'ange, créature millénaire qui se croyait en tout point supérieure. Cet aveu que sa conscience lui souffla éclata comme une bulle de savon, une goutte de savoir qu'elle lécha avidement. Elle en avait tant besoin. Comment diable ces êtres avaient-ils pu passer à côté d'une telle évidence depuis l'aube des temps ? C'était impardonnable !

— Nous ne te laisserons pas l'emporter, scanda l'archange qui présidait l'assemblée quelques brefs instants plus tôt, le visage déformé et enlaidi par la rage.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant