Chapitre 37

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 "On est souvent trompé en amour,

souvent blessé et souvent malheureux,

mais on aime. »

-Alfred de Musset


Oghnyann sentit le corps de sa victime s'affaisser contre le sien. La Diablesse gémit contre lui et il plissa les lèvres de dégoût, sa poitrine plantureuse pressée contre son torse ferme. Elle respirait par râles et les inspirations pénibles du démon se mêlèrent à la sienne.

— E-Enfoiré !

L'intéressé aurait souri, si seulement il en avait la force. Un sourire de provocation qui lui irait si bien. Il se contenta de soutenir le regard que coulait son ennemie sur lui. Elle luttait pour vivre, ses gestes dictés par ses instincts et par le désir d'en réchapper.

— C'est... fini, articula le Chasseur, alors que les mains de la Diablesse cherchait à l'aveugle son cou.

Un geste inutile, puisqu'Oghnyann la rejoindrait de toute façon. Il ne se berçait pas d'illusions, la douleur qui l'immobilisa n'avait pas désenflé. Il emporterait au moins l'origine de ses tourments avec lui. Il s'imagina brièvement, alors que des vertiges lui arrachèrent une minuscule plainte, leurs corps entrelacés dans la mort. Une ultime étreinte et le démon en sut estimer s'il aurait aimé la partager avec Cyriel ou s'il était heureux que l'homme qu'il aimait ne soit pas là pour assister à ce débâcle. Ses pensées pâlissaient devant la douleur qui irradiait de la blessure béant de son ventre. Il avait l'impression que ses entrailles allaient se répandre à l'extérieur de la plaie, voyant une occasion parfaite de s'extraire de leur prison. La pression qu'exerçait la Diablesse contre lui aiguisait encore davantage son mal. Il se surprit à prier pour qu'on mette un terme à son supplice.

Le souffle de la mourante s'échouait contre sa clavicule et il pouvait percevoir les dernières effluves de vie la quitter. Lorsqu'elle s'affala pour de bon contre lui, il sut qu'il en était fini de la terrible Diablesse. Quelle ironie qu'il ne puisse profiter de cet honneur ! Oghnyann tremblait, un froid mortel paralysant ses membres. Il grimaça alors que la conscience l'abandonnait, pour la dernière fois.

Ce fut à l'instant où il se sentit partir, ou l'âme s'apprêtait à s'extirper du corps pour s'élever au-delà de cette enveloppe charnelle meurtrie, qu'une décharge parcourut son épiderme. Une connexion s'établit dans les méandres torturés de son cerveau. Il reconnut cette signature, celle de Lucifer, lorsqu'un éclat de lucidité éclata dans les tréfonds de son être. Le Diable venait de rétablir le lien qui les unissait, ce même lien qui rattachait tous les serviteurs de l'ange déchu. Pourquoi ? Quel intérêt puisque la mort était sur le point de le cueillir ?

Oghnyann sentit alors ses cellules se régénérer. Le pansement de roche qu'il avait établi plus tôt dans l'espoir de survivre quelques instants de plus trouva enfin une utilité. Satan insuffla en lui l'énergie nécessaire à sa guérison et, immédiatement, la blessure commença à se résorber. Jamais les capacités déjà hors norme du Chasseur témoignèrent d'une telle efficacité. Plusieurs jours auraient dû être nécessaires à son corps pour réparer les dégâts causés par la Diablesse et le démon sut que quelques heures seraient suffisantes. Pourquoi la créature qu'il avait trahie avait-elle à cœur de le maintenir en vie ? Pour le tuer de ses propres mains ?

Toujours adossé au mur, il respirait calmement et, lorsqu'il eut rassemblé un peu de cette énergie nouvelle, il projeta le poids mort qui l'étouffait. Telle une poupée de chiffon, pantin désarticulé, le corps de son ennemie cogna de plein fouet le mur en face d'Oghnyann. Il ferma alors les yeux et se laissa glisser dans cette tranquille torpeur.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant