Prologue

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Tarik

Cours d'assises de Paris - 14h25

-Monsieur Andrieu Tarik, après délibération des jurés, vous êtes condamné à une peine de 9 ans ferme. Vous êtes en droit de...

Je regardais la juge sans la voir. J'pigais pas un mot de ce qu'elle racontait. J'étais resté qué-blo sur "9 ans ferme"... 9 ans... 9 ans ? Presque une décennie, carrément un siècle en années carcérales. Quand j'ressortirai j'aurai plus de 40 piges, putain. Un daron. 

Mon avocat à ma droite a soupiré et on a échangé un regard. C'était perdu d'avance de toute manière. J'le savais et il le savait. J'avais aucune chance. J'ai jamais d'chance d'ailleurs. Mais bat les couilles, j'en ai jamais eu besoin de c'te pute. 

J'sais pas trop c'que j'ressens, là, tout de suite. J'suis partagé entre une blinde d'émotion : colère, haine, tristesse, regret... Ouais des regrets j'en ai pas pour c'que j'ai fait. Mais pour ceux que je laisse derrière moi. Sarah, Yanis, Baba, Nabil, Dina et tous mes putain de QLF. J'me retiens de jeter un œil de l'autre côté de la vitre blindée, là où ils sont tous assis. J'veux pas voir leurs larmes, leur tristesse. J'le supporterai pas. Ils se sont tous mis à gueuler après avoir entendu le verdict. 

-...Vous avez quelque chose à ajouter ? demanda la juge par dessus le boucan.

Je cligne des yeux et je la regarde. J'sais exactement quoi dire. Alors j'prends mon temps pour me lever et me mettre bien droit. Elle a ce regard de pitié que je déteste. J'vais vite la refroidir. Tout l'monde retiens son souffle. Y'a une drôle d'atmosphère tout à coup. C'est lourd, tout autour de moi et un grand silence rempli la pièce. Plus loin, j'vois les yeux de la dessinatrice d'audience qui font des vas-et-viens entre moi et son calepin pendant qu'elle griffonne à toute allure. Et j'sais déjà que c'est cette illustration qui va être dans tous les articles de journaux. On retiendra d'mon histoire que cette phrase que j'apprête à sortir.

-Ouais, je fais. Ma voix résonne pour la première fois. J'voulais juste dire... que j'regrette rien.

Toute la salle est qué-cho, en face j'vois la famille de c'fils de pute qui crie d'indignation. Moi j'ai la voix d'Edith Piaf qui chante en boucle dans ma tête "Non, rien de rien, non, je ne regrette rien...". J'ai envie de rire tellement c'est con mais j'veux pas passer pour un psychopathe. La juge me regarde, déçue. Sah, tu t'attendais à quoi ? Même mon avocat à coté est sur le cul, miskine, après tout c'qu'il a fait pour moi. Là j'viens de balayer toutes mes chances de remise de peine. Mais j'en ai rien à foutre, fallait que je l'dise. Et puis rien n'est gratuit dans la vie, et si c'est le prix à payer pour les miens, alors j'suis opé'. 

Les journalistes sont en train de noter mot pour mot tout c'qui se dit ici, je sais que d'ici quelques heures tout éclatera au grand jour. Une vérité qu'ils vont retourner comme ils veulent. Ils diront ce qu'ils voudront et tairont le reste. J'aurais voulu un huis clos, putain. J'me rassis et attrape un stylo. Je griffonne un truc sur un coin de page de mon dossier et je l'arrache avant de le rouler comme un joint. C'est maintenant ou jamais. J'dois lui dire. Les flics arrivent vers moi pour me passer les menottes, j'en profite que tous le monde soit occupé à gueuler pour chercher Nab et Nana des yeux. Ils sont là, tout près. Juste derrière cette putain de vitre. Pris d'un réflexe j'la contourne pour attraper mon frère par la nuque. J'colle mon front au sien. J'vois qu'il est dans le mal, anéanti. Et si j'pouvais prendre toute sa peine pour la mettre sur mes épaules, je l'ferai. Mais chacun sur Terre à son lot d'épreuve et de souffrance, et j'peux rien faire face au destin. C'est le Tout Puissant qui décide. On échange un regard, on a pas besoin de mots pour se comprendre. Une larme coule sur sa joue et c'est comme si on m'enfonçait un couteau dans l'coeur. J'vais craquer moi aussi, mais j'dois tenir. J'veux pas lui infliger ça. J'aurai l'time pour chialer plus tard, au calme dans ma cellule... Je profite maintenant, car j'ai que les quelques minutes que la juge à bien voulu m'accorder pour faire mes adieux.

Je lève la tête et j'croise le regard de Nana. Ma nana. Elle ne dit rien, et elle c'est pas une larme ou deux qui coulent, c'est une rivière. Mais elle tient bon, et elle a même le courage de me faire un petit sourire. Un flic pose une main sur mon épaule, et cette fois je sens que c'est terminé. J'attrape la main de ma Dina dans un dernier élan et lui fourre le papier dedans. Je reste là, à la regarder pendant un moment qui s'est fini trop vite à mon gout. Je sens qu'on me passe les menottes dans le dos, comme un paria, et elle à un hoquet de surprise. J'sais va, mais ma3lich, t'inquiète. J'ai envie d'la rassurer, de lui dire que ça ira bien. Mais les mots ne sortent pas. Nabil le fera mieux que moi, je m'inquiète pas pour elle. Je sens qu'on me tire doucement par derrière. Khlass. Et je quitte la salle, la tête haute, parce que j'ai pas honte. Nan, pour une fois, je pense avoir fait ce qu'il fallait.

Et puis juste à l'instant où je vais franchir la porte, escorté comme Hannibal Lecter, je me retourne une dernière fois. Je croise son regard, et je sais qu'elle a lu mon message. Ses yeux surpris sont brillants, et c'est la dernière image que j'aurai d'elle avant très, très longtemps.

NANAnère (PNL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant