Chp 15 - Fassa : Le Noël russe

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— Tu es prête ? me pressa Lev en passant la tête dans la salle de bain. La soirée commence dans moins d'une demi-heure, et il faut encore trouver une place pour se garer.

Je me hâtai de peaufiner ma coiffure. Il ne fallait pas faire attendre Boris Ivanov.

Pour Noël, Lev m'emmenait au Kalinka, le fameux resto russe où il m'avait assommé avec ses comptes. Ils organisaient une soirée spéciale, avec des danseurs et des musiciens venus expressément de Moscou. Je m'attendais à passer une soirée avec des cosaques en uniforme jetant des sabres, au levé de jambes défiant les lois de la tonicité abdominale : ce n'était pas trop mon truc, mais j'étais prête à faire ça pour Lev, qui n'envisageait pas une soirée de fin d'année sans blinis à la crème, caviar et bortsch.

Je crus faire une overdose de rouge en entrant dans le restaurant : du mur aux tentures, des nappes aux rideaux, des lampions aux candélabres de verre, tout était rouge. À notre arrivée, le patron se précipita dans les bras de Lev, pressant son gros ventre contre lui.

— Mes amis ! s'écria-t-il avec un fort accent, que je soupçonnai feint. Bienvenue, bienvenue ! Je vous ai réservé la table impériale.

Je fronçais les sourcils, cette dénomination faisant plus restaurant vietnamien que russe. Mais Lev avait l'air de la trouver à son goût.

Spassiba, Boris, fit Lev en octroyant à son « ami » sourire large et accolade virile.

Le dénommé Boris – sûrement un pseudonyme – nous conduisit à une table ronde – nappée de rouge elle aussi – sur laquelle était posé tout un assortiment de verres en cristal, de brillants Swarovski et de couverts et autres assiettes dorées. Habituée à l'austère minimalisme scandinave et luthérien, j'étais stupéfaite par une telle débauche de kitsch.

Lev tira une chaise pour moi, devançant le maître d'hôtel.

— Je t'en prie, m'invita-t-il comme si j'étais une princesse dans quelque conte de fées.

Je lui jetai un regard reconnaissant, ce à quoi il répondit par l'un de ces sourires ravageurs dont il avait le secret. Dès qu'il fut assis, un sommelier arriva, une main derrière le dos et une autre drapée d'un chiffon immaculé. C'était un jeune gars aux yeux pâles et aux joues hâves, plutôt beau gosse, dont le corps tonique et musclé évoquait celui d'un danseur de ballet.

— Bonsoir, Artyom, le salua Lev sans le regarder, les yeux sur la carte. Qu'est-ce que tu nous conseilles ?

— Le champagne, bien-sûr. Mais j'ai fait rentrer une bouteille de Bara no Niwa rien que pour toi.

Lev releva soudain les paupières, lui jetant un regard plus aiguisé qu'une lame. Cela ne dura qu'une fraction de seconde, mais je le remarquai, tout comme la raideur soudaine qui avait saisi le malheureux sommelier.

— Tu m'en vois ravi, sourit Lev, passé de glacial à mielleux. Garde-la pour tout à l'heure. En attendant, mets-nous un Dom Pérignon plénitude, 99.

— Tout de suite, Liotva.

Ce petit regard incisif, de nouveau. Lev n'appréciait pas la familiarité que lui montrait cet Artyom. Pourtant, avec Boris...

C'est parce que c'est le patron, et Artyom, un simple employé, compris-je, stupéfaite.

Un peu refroidie, je parcourus la salle des yeux.

Les orthodoxes fêtant Noël plus tard que nous, le thème de la soirée était assez peu religieux : des tableaux bizarres et licencieux ornaient les murs, ainsi qu'une profusion de sculptures de bronze plus érotiques qu'anatomiques. L'une d'elle, représentant un couple en train de faire l'amour – la femme dans les bras de l'homme, la tête renversée en arrière dans une posture acrobatique – m'interpella tout particulièrement.

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