Journal d'Erik Stormqvist 17 : les messagers de Fafnir

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J'ouvris les yeux dès le premier chant du coq. Chovsky était déjà debout, achevant de sangler son armure. Me voyant réveillé, il jeta un œil sur moi.

— Ah, Erik. Enfin, tu es réveillé. Il faut partir, si on veut arriver à Zatchevo bien avant que le jour s'obscurcisse.

Il avait raison. N'ayant aucune envie d'affronter Ulfasso dans le noir, je sautais rapidement hors du lit. Au passage, mon capitaine me saisit par la tignasse, puis il me colla un baiser langoureux.

— C'est peut-être la dernière fois qu'on se retrouve dans une chambre si confortable tous les deux, murmura-t-il avec un sourire en coin, irrésistible. Il faut en profiter, tu ne crois pas ?

Je ne me fis pas prier. Chovsky garda son armure, mais il défit le laçage de cuir de sa braguette pour en sortir son vit, déjà raide. Je m'agenouillai en face de lui pour le saisir dans ma bouche : Chovsky se laissa faire en rejetant la tête en arrière, mais il m'arrêta rapidement pour me pousser contre le lit. Là, il me prit, à quatre pattes, comme une captive de guerre. Il parvint au faîte du plaisir en même temps que moi, et couvrit mon cri d'un long râle rauque.

— Je regrette que tu aies attendu tout ce temps, lui confiai-je ensuite.

— Moi aussi, Erik. Mais le futur est devant nous. Allez, ne faisons pas attendre Ulfasso.

Nous avalâmes un copieux déjeuner en quatrième vitesse, puis quittâmes l'auberge, avec des provisions pour la route. Chovsky n'acheta pas de nouveaux chevaux, ne trouvant pas ceux de l'aubergiste assez bons et préférant garder les nôtres, encore en bonne condition, pour aujourd'hui. Grimpant sur sa monture, il quitta la cour de l'auberge au petit trot, moi à sa suite.

La région, assez désolée, annonçait les Carpates dont nous pouvions voir les premiers sommets au loin. Chovsky, qui se sentait d'humeur poétique face à la givrée blanche qui habillait les champs, se mit en devoir de me raconter les légendes de chez lui.

— Sais-tu ce qu'on dit, en Tatarie, sur les montagnes ? me lança-t-il en me jetant un coup d'œil enjoué par-dessus l'épaule. On dit qu'elles sont le corps de dragons endormis. Chaque sommet est un morceau émergeant du corps serpentin de ces créatures célestes... La plus grande, qu'on appelle « montagne de Sheitan », le diable, renferme le corps de Zilant, le plus formidable dragon qui ait jamais existé sur cette Terre.

Avec ses yeux d'un bleu de mer, éclairés par la lumière du soleil du matin qui émergea soudain de derrière les montagnes, Chovsky semblait songer aux verts pâturages et aux sommets enneigés de sa région natale. Je savais qu'il n'y était pas retourné depuis qu'il l'avait quitté à quinze ans, pour monter à Moscou embrasser le glorieux destin qui était sien. Maintenant, il en avait vingt-six.

— Et toi, Erik, qu'est-ce qu'on dit sur les montagnes dans ton pays ?

Je baissai la tête, alors qu'apparaissaient sous mes yeux les lacs immenses, les fjords majestueux et les sommets enneigés du pays où j'étais né et où j'avais grandi. Reverrais-je un jour ce paysage taillé par la main des dieux ? J'en doutais quelque peu.

— Au nord de la Suède d'où je viens, répondis-je en levant à mon tour les yeux sur la ligne des Carpates devant nous, on dit que les montagnes sont creuses, et qu'elles abritent des mines immenses, peuplées par des nains qui creusent sans relâche jusqu'aux profondeurs de la terre pour en extraire des métaux rares et précieux. Leurs forêts denses sont habitées par les älfes, des créatures supérieures à forme humaine, et c'est de leur sommet qu'on peut gagner Asgard, la demeure des dieux, en empruntant le bifrost, le pont de l'arc-en-ciel. Quant aux pics vraiment escarpés, aux formes étranges, on dit généralement que ce sont le corps des trolls pétrifiés, ou de géants figés pour l'éternité par Odin dans l'attente du Ragnarok, la fin des temps. Il y a une forêt pétrifiée près de chez moi, on dit que c'est toute une armée d'Ases, des héros épiques, qui a été figée là par le roi des dieux pour être réveillée lors de l'ultime bataille contre le dragon Fafnir. Un rocher énorme, de forme particulière, est même donné pour être le marteau de Thor lui-même, et c'est pourquoi on a appelé mon village Trondheim, qui signifie dans ma langue « pays du marteau ». C'est avec ce marteau que Thor pourra contrôler le loup Fenrir, celui qui, seul, pourra venir à bout de Fafnir.

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