Prologue : Le tableau

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Êtes-vous déjà tombé.e amoureux.se du méchant, dans une histoire ? C'est ce qui m'arrive à chaque fois. Je craque toujours sur le vampire que le héros doit tuer, le sorcier en noir, le dragon maléfique. Sauf que les monstres existent.

*

J'ai quinze ans. C'est là que tout commence, en Suède. Depuis le début du séjour, mes parents ne font que se crêper le chignon pour des broutilles. Je sens bien qu'ils ne s'entendent plus. Les adultes s'imaginent qu'à quinze ans, on est encore un enfant qui ne comprend rien : c'est faux.

— Je t'avais dit que le restaurant ne prenait plus de réservations après sept heures ! Les Suédois mangent tôt.

— Plus tôt que les Finlandais ? grogne mon père en réponse. Ça m'étonnerait !

C'est le dernier voyage qu'on fait tous ensembles. C'est sûr.

Je profite de la distraction momentanée du guide pour quitter le groupe. Mes parents ne prêtent pas attention à moi. Ils se fichent également de la visite, alors que, pour une fois, celle-ci m'intéresse. Le château de Varnhem. D'après le dépliant qu'on nous a fourni à l'entrée, il s'agit d'un ancien palais ducal, qui a reçu le roi Charles X de Suède au 17° siècle, en plein pendant les guerres avec la Russie expansionniste. Il y a bien quelque anecdote pittoresque attachée à ces vieux murs. Une histoire de fantôme, qui sait ?

Ces derniers temps, mes rêveries sont devenues de plus en plus sombres, passant d'histoires de chevaliers aux princesses et à la magie cachée dans des pièces secrètes. J'ai passé tout l'été enfermée dans ma chambre à lire des histoires de vampires, le nouveau disque de Cradle of Filth dans les oreilles. Je suis fan de ce style de musique, avec son utilisation du classique, ses tambours martiaux et ses guitares qui sonnent comme des tronçonneuses. Mais plus encore que les nappes atmosphériques de leur musique, c'est l'ambiance autour de ces groupes qui me transportent. La jaquette du CD représente une femme vampire dans une forêt sombre, les hautes tours d'un château spectral se découpant dans la brume. Depuis ma plus tendre enfance, ce type d'imagerie me fascine. Mon premier vrai dessin a d'ailleurs été un chevalier vampire. Dans les dessins animés, petite, je prenais toujours le parti du méchant, lui trouvant à chaque fois toutes sortes d'excuses. Le premier garçon dont je suis tombée amoureuse était un vampire aux cheveux argent dans un roman pour enfants : sa disparition aux premiers rayons du soleil, à la fin du livre, m'a bouleversée. Et, depuis que j'ai découvert le black metal, je ne m'habille plus qu'en noir, au grand dam de mes parents. J'ai d'ailleurs décidé de faire ma rentrée au lycée comme ça, avec mes jupons de tulle noirs. Au moins, dans ce nouvel établissement, personne ne me connaîtra comme la petite grosse à lunettes, l'intello qui fait de la musique classique.

Vaguement inquiète à l'idée de me faire prendre par un membre du personnel du musée ducal, je m'éclipse dans les allées délaissées par la visite. Il y a vraiment une atmosphère dans ce château, au sommet duquel on voit la mer et, si on plisse les yeux suffisamment, le golfe de Botnie. Il s'est passé des choses dans ce château. Beaucoup de choses. Peut-être même qu'ici, une princesse a attendu son prince pendant des mois, alors qu'il guerroyait en Russie. Peut-être même qu'elle est morte de tristesse, ne le voyant jamais revenir... Voilà le genre de rêveries auxquelles je me livre.

Au détour d'un couloir obscur, je tombe nez à nez avec un cadre monumental, recouvert d'un drap de velours pourpre, à la couleur un peu passée. Pourquoi celui-là est-il dissimulé ainsi, et pas les autres ? Sur des murs où ne s'ouvrent aucune porte, on peut voir de nombreux tableaux, certes plus sinistres que ceux présentés dans les pièces ouvertes aux visiteurs, mais qui ne sont pas pour autant cachés aux regards. Le tableau en question, immense, se trouve dans un cul-de-sac. Il domine tout le couloir.

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