Journal d'Erik Stormqvist 15 : la fin des illusions

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Je mis plus d'un mois à me remettre totalement de cette blessure, dont je porte encore aujourd'hui l'odieuse cicatrice. Lorsque je fus guéri, Chovsky, qui n'avait plus d'autre but que retrouver Ulfasso, se remit à sa poursuite, m'ayant demandé au préalable si je voulais encore le suivre.

— Je comprendrais que tu veuilles en rester là, Erik, me dit-il, le regard habité. Mais pour ma part, je dois retrouver Ulfasso et l'arrêter. Je le dois au nom de notre vieille amitié... Cela risque d'être encore pire que les deux entrevues qu'on a déjà eues avec lui, alors réfléchis bien avant de prendre ta décision, car pour ma part, je ne reculerai pas.

— Je te suis, lui répondis-je. Je l'ai promis au tsar...Et puis, je ne peux pas laisser mon capitaine affronter ce monstre seul.

— Alors, allons-y, sourit Chovsky, et nous quittâmes Novgorod, à nouveau lancés sur les traces d'Ulfasso.

Ce dernier, désormais, semblait se diriger vers l'ouest. Nous eûmes beaucoup de mal à retrouver sa trace, mais un jour, en entrant dans un bar derrière la frontière moldave, vers laquelle Chovsky pensait qu'il passerait, nous entendîmes parler de lui dans une auberge où nous comptions passer la nuit.

— Quel sinistre personnage, disait à son mari l'aubergiste en lavant des chopes de bière. Je t'assure avoir vu l'éclat d'une armure sous son manteau, et des cheveux d'un blanc de cadavre dépassaient de sa capuche ! Enfin, il transportait un drôle de paquet, qui avait forme humaine. Le diable, je te dis ! Il en avait la voix rauque et la sombre apparence.

— Ulfasso, murmura Chovsky en jouant des coudes pour se rapprocher. Pardon, ma bonne dame, mais pouvez-vous m'en dire plus sur ce client qui vous a tant fait peur ?

La femme jeta un regard acariâtre à mon compagnon.

— Qui êtes-vous ? lui demanda-t-elle en avisant sa large épée et son caftan noir, sous lequel il portait également son armure.

— Capitaine Anton Zakharine Chovsky, des armées du tsar, annonça-t-il d'une voix qui fit murmurer l'assemblée. Je recherche mon général, le prince Ulfasso Levine Tchevsky, et je pense que votre diable correspond en tout point à sa description. Quand l'avez-vous vu ?

— Il y a à peine deux jours, répondit-elle en attrapant du bout des doigts l'icône autour de son cou. Il m'a demandé la route pour le bourg de Zatchevo.

Chovsky me jeta un rapide regard.

— On le tient ! murmura-t-il à mon adresse. Zatchevo ? Qu'est-ce que c'est ?

Le tenancier de l'auberge, qui se tenait près de sa femme en silence, s'avança alors.

— Là-bas, il y a un vieux krom en ruines, dit-il à voix basse. On l'appelle la tour du diable... Parait-il que les sorciers y vont pour se livrer à la nécromancie, car c'est situé sur un antique site païen : la Montagne Chauve, une nécropole de pierres dressées où les sorciers sacrifient la nuit de Walpurgis. Je serais vous, je me poserais sérieusement des questions quant à votre général, capitaine. Sauf votre respect, bien sûr.

Chovsky serra les dents. Au temps de l'opritchnina, on coupait des têtes pour moins que ça.

— Ça va, dit-il. Et comment on s'y rend, à ce krom de Zatchevo ?

— Si vous continuez sur la route en partant d'ici, vous apercevrez le début des Carpates sur votre droite. Il vous suffit de vous y diriger, vous traversez la forêt, puis passez le premier col, et là, vous verrez Zatchevo. C'est un petit village de moins de deux-cents âmes, avec une église en bois. Il est surmonté par un château en ruines au nord, qui surplombe un lac. Pour y aller, vous traversez le village, contournez le cimetière : il y a un petit chemin derrière. Si vous le prenez, vous tomberez sur le château en moins d'une demi-heure.

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