Journal d'Erik Stormqvist 3 : face à face

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Rien n'avait pu me préparer à l'impitoyable hiver russe, qui avait déjà dérouté de si nombreux envahisseurs. Nous avions quitté la Finlande à la fin de ce dernier, et lorsque nous arrivâmes dans les terres c'était déjà le début du printemps, mais il faisait un froid qui glaçait les os. En cantonnement à une heure de Nizhniy Novgorod, le but de notre voyage, je tentai de me réchauffer devant un feu face à la tente du capitaine, auprès duquel j'avais été promu jeune aide de camp grâce à mon sens de la discipline. J'étais désormais troisième classe. Ma carrière s'annonçait prometteuse, mais pas comme je l'escomptais : en effet, jeune aide de camp n'était rien d'autre qu'un synonyme d'homme à tout faire, sauf la guerre.

Nous n'avions pas vu le bout du nez d'un moscovite pendant notre longue traversée, et le capitaine avait donc estimé que nous pouvions prendre un repos bien mérité avant de rejoindre le reste des troupes suédoises et nous lancer à l'assaut de Nizhniy Novgorod. Nous avions en effet marché à un rythme soutenu, mais maintenant qu'il n'y avait plus rien à craindre, tout le monde souhaitait se reposer. Pour ma part, j'étais presque déçu de ne pas avoir vu mon premier Russe avant le siège.

— Eh, toi ! me lança soudain un soldat qui portait l'uniforme des éclaireurs. Va m'annoncer au capitaine, j'ai une nouvelle de première importance à lui apprendre.

Je m'exécutai, entrant dans la tente du capitaine qui était à son bureau en train d'écrire.

— Un éclaireur pour vous, mon capitaine, annonçai-je.

— Ah, fais-le entrer, Erik.

J'aimais bien le capitaine, qui se montrait gentil avec moi, mais cela m'irritait qu'il m'appelle par mon prénom, me traitant plus comme un gamin que comme un soldat. J'obéis néanmoins, et ramenais l'éclaireur dans la tente.

— Deuxième classe Jons au rapport, mon capitaine ! tonna celui-ci une fois devant mon chef.

Ce dernier me regarda, levant un sourcil.

— Tu peux disposer, Erik.

Je saluai rapidement, et sortit de la tente, humilié. Dans ma fierté, je renonçai à laisser trainer une oreille, mais cela ne fut du reste pas nécessaire.

En effet, pas plus de cinq minutes après l'entrée de l'éclaireur dans la tente du capitaine, celui-ci sorti en trombe et hurla le repli, qui fut repris par tous les officiers :

— Aux armes ! Un détachement russe signalé à moins d'une heure d'ici, on démonte le camp et on se prépare à les recevoir ! Allez, du nerf !

Je me tournai vers l'éclaireur :

— Les opritchniki ?

— Je ne pense pas, répondit-il gravement, mais on ne sait jamais.

Moins de vingt minutes plus tard, le camp était démonté et notre bataillon sur le pied de guerre, les yeux rivés sur la colline d'en face dans l'attente des Russes.

— Il paraît qu'ils sont peu nombreux, disait le général en scrutant l'horizon avec sa lunette. Je ne pense pas que ce sera un problème majeur.

La stratégie du général était d'attendre l'ennemi pour le prendre par surprise, et il comptait sur son surnombre, sept-cents hommes, pour cela.

Néanmoins, il régnait dans nos rangs un silence de mort. L'attente se faisait de plus en longue et le froid bien connu des plaines russes, qui avait et allait encore protéger l'immense empire de bien des envahisseurs, commençait à ébrécher le moral de nos troupes, pourtant habituées au climat du grand nord. Quand, au terme de quatre heures d'attente interminable, plusieurs cavaliers firent leurs apparition sur la colline avoisinante, nous nous sentîmes presque soulagés. Une certaine joie se répandit parmi les soldats en devinant que leurs adversaires étaient à l'évidence bien moins nombreux qu'eux, et qu'ils paraissaient décontenancés comme l'indiquait la position stationnaire des premiers cavaliers au loin. Du soulagement, oui, c'est que ressentirent les hommes de notre petit bataillon d'armée quelques minutes, avant qu'un cri ne résonne soudain dans nos rangs :

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