Chp 5 - Lev : la fille des Amis de la Terre

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— Bah alors, t'es toujours pas marié, toi, Lev ?

Le ton était à la fois sympathique et halluciné. Reconnaissant immédiatement la voix de Valo, le futur épousé, je relevai la tête.

— Non.

— Faudrait peut-être que tu te dépêche, mon vieux ! me répondit-il en me tapant dans le dos. Toutes les filles bien vont être déjà prises, et on est plus tout jeunes ! On commence à se poser des questions, tu sais ?

Je me sentis obligé de lui sourire. En fait, je le connaissais peu, ayant pas mal trainé avec lui il y a une dizaine d'années aux débuts de Novka. Mais quand la boîte avait décollé, je l'avais perdu de vue. Finalement, il m'avait contacté un mois plus tôt pour m'inviter à son mariage, et voilà comment je me retrouvais dans ce bar de Kallio avec une bande de financiers d'une trentaine d'années venus l'assister pour enterrer sa vie de garçon, qui apparemment avait été mouvementée. Les blagues douteuses sur la sexualité des uns et des autres faisaient malheureusement partie du menu habituel de ce genre de réunion.

— Lev pense que se marier coûterait trop cher, clama mon ami Aarne à toute l'assistance. Et comme il est en train de perdre beaucoup d'argent pour s'être engagé avec les Amis de la Terre à ramener toutes ses chaines de production en Finlande, il n'aura pas les moyens avant de nombreuses années.

Cette nouvelle provoqua les fous rires des dix types assis autour de la table. J'aimais bien Aarne, mais je trouvais sa remarque un peu abusée.

— Ah, c'est pas bien malin, ça, Leefi ! renchérit Valo en me tapant une deuxième fois dans le dos.

Déjà passablement éméché, il le faisait à tout le monde depuis le début de la soirée, même à la serveuse.

— Vous verrez bien dans quelques années, murmurai-je en jetant un regard noir à Aarne, quand le gouvernement vous forcera à revoir entièrement vos méthodes de production. Parce qu'on y arrive, et le virage à cent quatre-vingts degrés que vous serez obligé de prendre vous coûtera un paquet de pognon !

— Bah, si ça arrive, j'irais me délocaliser ailleurs, répondit Valo. Je suis sûr qu'un pays en développement comme la Chine sera ravi de voir une grosse entreprise finnoise venir faire prospérer son économie.

— Ça m'étonnerait que tu te fasses au système chinois, répliquai-je. Là-bas, le gouvernement à le droit de regard sur tout, et si les entreprises étrangères ne se plient pas aux taxes exorbitantes qu'il leur impose, elles dégagent.

Il s'ensuivit une conversation animée sur le sujet, et j'en profitai pour me plonger dans ma bière. Elle était chaude depuis longtemps et donc dégueulasse. Je la reposai sur la table : si je ne la finissais pas, au moins Valo n'allait pas me resservir comme il le faisait inlassablement depuis quelques heures.

— Sérieusement, Lev, commença-t-il en se tournant vers moi, t'as personne ?

Je soupirai. Il y avait bien cette fille qui m'avait vendu son contrat écolo, justement, à la force de ses beaux yeux. Mais tout ce charme n'était qu'une habile stratégie marketing, puisque lorsque j'avais essayé de la revoir, elle m'avait opposé un non catégorique.

— Lev avait craqué sur la fille de Greenpeace, répondit Aarne à ma place en riant. Mais dès qu'il a signé, elle a embarqué le contrat et s'est barrée.

Valo se tourna vers moi.

— C'est vrai ?

— À peu de choses près, oui, répondis-je en toute franchise. C'était pas Greenpeace.

— La salope ! s'exclama-t-il avec un sifflement incrédule.

— Attends, elle ne m'a pas dragué, objectai-je. C'est moi qui ai essayé. Elle, elle s'est contentée de faire son boulot.

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