Chp 7 - Lev : celle que le diable a mise sur mon chemin (2)

44 7 4
                                    

Je passai le reste de la journée avec Fassa, la quittant à regret à la nuit tombée. Elle avait malheureusement des trucs à faire.

Je ne voulais pas la harceler, mais je ne pus résister à l'envie de l'appeler dès le lendemain. Cette fois, elle accepta de me revoir, et nous allâmes tous les deux manger dans un restaurant italien. Après, elle rentra chez elle, à nouveau, et moi, je regagnai mes pénates.

Ce fut comme ça pendant une semaine ou deux. On se voyait régulièrement, mais il ne se passait rien. C'était la première fois que je prenais autant mon temps. Pourtant, j'avais envie d'elle, et j'étais avide d'en savoir plus à son sujet. Mais prudence est mère de sûreté. Cette fille m'intriguait au plus haut point, et je voulais la laisser se dévoiler couche après couche, comme une rose qui s'ouvre timidement.

Heureusement, la curiosité naturelle de Fassa accéléra les choses.

— Dans quel quartier vivez-vous, Lev ? me demanda-t-elle un jour alors que nous sortions du cinéma, ayant vu un film chiant pour lequel je m'étais forcé à rire aux éclats.

— Je n'habite pas à Hesa, lui répondis-je. J'habite à la campagne.

— A la campagne ? Vous venez tous les jours à Helsinki pour travailler ?

— Mais oui, répondis-je avec un sourire en pensant qu'à Tokyo, les gens faisaient le triple de mon temps de voyage pour aller bosser tout en vivant en ville. Mais tu sais, tu peux me tutoyer.

Fassa sourit.

— Oui, je préfère. J'attendais que tu me le propose. Tu es tellement... poli, fit-elle après une légère hésitation, que je n'osais pas de moi-même.

On m'a souvent dit, en effet, que mon extrême politesse me rendait glacial. Ici, les gens étaient plus directs, et tutoyaient même les inconnus. Mais je n'avais jamais pu me défaire de mon éducation rigide.

Fassa refit quelques pas, puis elle s'arrêta à nouveau.

— Dis Lev, ça ne te dérangerait pas de me montrer ta maison ? Tu pourrais m'inviter à dîner, par exemple.

Le tutoiement donnait une tout autre dimension à ses propos. Ça y est, pensai-je, elle me fait enfin une proposition.

— Euh, oui, d'accord, répondis-je en me rappelant que je n'étais pas un très bon cuisinier. Si ça te dit, tu peux venir ce soir, même.

Évidemment, je n'avais rien préparé, et la maison devait être en bordel, mais j'avais tellement hâte de la coucher dans mon lit que j'étais prêt à improviser.

— Non, répondit Fassa, ça fera trop tard. Tu ne travailles pas demain, pas vrai ? Passe me chercher à la station de Kallio vers cinq heures, et je dînerai chez toi.

Je me rendis compte, assez déçu, qu'elle n'avait aucune intention de passer la nuit chez moi. Bah, c'est normal, pensai-je. On ne s'est même pas encore touché la main, et elle ne me tutoie que depuis cinq minutes.

Je devais avouer que la fréquentation des putes de luxe de ces dernières années n'avait pas amélioré mes compétences en matière de drague. Avec les pros, c'était facile : on disait ce qu'on voulait, on payait, et basta. Avec une « civile », c'était plus difficile : il fallait faire montre de stratégie et de séduction, argumenter subtilement sur le produit. Bon, je n'étais pas intéressé que par le corps de Fassa, mais quand même. Ça faisait un moment que je n'avais pas tiré mon coup, et elle me faisait un effet assez surprenant. Je n'aurais pas dit non.

J'acceptai donc ce qu'elle me demandait, lui promis de passer la chercher le lendemain, puis rentrais chez moi. Je passai le début de soirée à faire le ménage, me creusant la tête pour le dîner de demain. Je mangeais rarement chez moi, et quand je le faisais, c'était pilmini surgelés, steak, omelette ou poisson. Que des trucs qu'il suffisait de jeter dans la poêle. Je résolus d'aller chez le traiteur le jour même, et m'installai devant ma série russe préférée en grignotant du pop-corn. J'avais pris le câble exprès pour avoir les chaines russes, et Bratya po-raznomu était mon plaisir du vendredi soir. Finalement, ce n'était pas plus mal que Fassa ne soit pas venue : les pitreries des deux frères sans sous-titres ne l'auraient sans doute pas fait rire. L'humour russe, ça n'amuse que les Russes, en général.

Au moment où Andreï se crêpait pour la énième fois le chignon avec Ivan, l'ourse refit son apparition en allant coller son nez chafouin sur la baie vitrée. Ayant entendu un bruit de griffures, je quittai l'écran des yeux machinalement, et apercevant ses griffes démesurées et sa face grise, je fis un bond de trois mètres. Impossible de m'habituer à cette bestiole immense qui me harcelait. J'hésitai à venir lui tirer les rideaux sous le nez, puis abandonnai par pitié. Après tout, l'ourse avait elle aussi le droit de suivre Bratya po raznomu, et elle ne devait pas avoir de télé.

Quand les trois épisodes furent terminés, j'éteignis toutes les lumières, jetai un dernier regard à l'ourse qui était toujours assise devant la vitre, et allai me coucher. Cet animal ressemblait presque à un humain par ses mimiques, sauf qu'elle était poilue, possédait de longues griffes et de grandes dents. Le jour où elle allait réussir à entrer chez moi, je n'allais pas rigoler. Je frissonnai au souvenir de ses yeux qui avaient continué à briller dans le noir, me promettant d'arrêter de lui jeter des têtes de poissons à l'avenir. J'étais trop gentil avec cette bête, un jour, elle allait essayer de me bouffer. Je jetai mes vêtements par terre, et une fois affalé sur le lit, je regardai leur forme éparse.

— Demain, résolus-je à la pensée de tout le rangement qu'il me restait à faire.

La lampe du plafond, une boule en papier Ikea, se mit à clignoter. J'avais oublié de changer l'ampoule.

— Demain, pensai-je encore, me rappelant que de toute façon, elle n'allait pas tarder à s'éteindre par manque de jus.

Effectivement, cinq minutes plus tard la pièce plongea dans le noir. Je fermai les yeux, me remémorant le visage de Fassa. Elle était parfaite. Quelle chance d'être tombé sur elle... Dire que c'était elle qui était venu me trouver ! À croire que le diable l'avait mise exprès sur mon chemin.

Cette pensée me fit sourire dans les ténèbres. Elle m'amena un début de désir, aussi. Bientôt, Fassa serait mienne. Il fallait juste attendre, et jouer finement.

DEVILISH LIESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant