Chp 31 - Fassa : nouvelles preuves

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Les images atroces évoquées par le tragique récit d'Erik continuaient néanmoins à me hanter. J'avais beau me dire que cette histoire ne pouvait être vraie, elle était désormais associée à mon fiancé, d'une manière qui me paraissait irrémédiable.

Le soir suivant la scène d'Erik, je laissai Lev aller au lit le premier, restant dans le salon à regarder la télé jusqu'à tard dans la nuit. Pour la première fois depuis que je le connaissais, je ne voulais pas avoir de contact avec lui. Et lorsqu'il enroula son bras autour de moi comme il le faisait à chaque fois, ayant l'habitude de dormir contre mon dos, je me faufilai en douce pour aller me pelotonner à l'autre bout du lit. Le lendemain soir, il exprima son désir de manière plus consistante, et quand je sentis sa main sur ma cuisse, je me raidis.

— Je suis fatiguée, Lev, lui fis-je d'une voix lasse, dans le noir. Tu ferais mieux de dormir aussi, d'ailleurs.

Il soupira et posa sa grande main sur mon ventre. Il n'insista pas, mais s'endormit dans cette position qui m'était devenue inconfortable, me serrant étroitement contre lui.

Il prit ses distances, cependant. Lev était fin psychologue, et ayant probablement compris que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, il me laissa tranquille. Quant à moi, je lui annonçai que je partais voir ma mère, lui racontant qu'elle était tombée subitement malade. Il me laissa partir comme si c'était normal, et nous nous quittâmes en bons termes. Je pensais que c'était la fin de notre couple, et comptais lui annoncer plus tard, bien à l'abri chez mes parents, que je ne comptais plus l'épouser.

Mes parents m'accueillirent sans un commentaire. Je ne connaissais toujours pas leur réelle opinion sur Lev : ils s'étaient bien gardés de me la dire. Je passai les deux premiers jours de manière plutôt passive, me réfugiant dans l'ambiance cocon de mon enfance. La maison de mes parents était en pleine nature, au bord d'un lac sur les rives duquel j'allais me promener tous les jours. Je pouvais regarder ces eaux sombres, dans lesquels se reflétaient sapins et bouleaux, pendant des heures. Sur cette surface de miroir, je me refaisais les scènes de batailles épiques que m'avaient décrites Erik. La noblesse, puis la folie, la cruauté et la malice d'Ulfasso, celui qui était censé être mon futur mari... Dans ces eaux noires, je voyais les tours et les bulbes du Kremlin. Et les yeux d'un vert intense, la longue chevelure d'argent, le caftan noir et le sabre démesuré du prince Tchevsky.


*


— Je voudrais parler au conservateur, s'il vous plaît.

Je m'étais finalement décidée à appeler le château de Varnhem. Je devais en avoir le cœur net.

— Oui, c'est moi-même, me répondit la voix au bout du fil. Que puis-je faire pour vous ?

Je pris une grande inspiration.

— Écoutez, cela va sans doute vous paraître bizarre, mais j'appelle à propos du tableau qui s'intitule « Portrait du prince Ulfasso Levine Tchevsky »...

Le conservateur me coupa la parole immédiatement.

— Ah non, encore ? Vous êtes la troisième personne à m'appeler à propos de ce tableau ! Enfin, la quatrième, si je compte la police britannique...

— Je... Comment ? Je voulais juste savoir s'il était possible de le voir lors d'une visite...

— Nous ne l'avons plus, rétorqua sèchement mon interlocuteur.

— Vraiment ? Où puis-je le voir, alors ?

— Nulle part. Le tableau a été détruit. C'est pour ça que la police britannique m'a appelé. Vous ne lisez pas les journaux ? La collection du célèbre Harold Talbot. Sa résidence à Londres a entièrement brûlé, avec toutes les œuvres d'art inestimables qu'elle contenait. Tableau du prince Tchevsky y compris. Le pauvre homme a péri dans l'incendie, visiblement en essayant de sauver ses trésors... Désolé ! Je ne peux rien pour vous.

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