Journal d'Erik Stormqvist 8 : La nouvelle recrue

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Je vais délibérément sauter les deux premières années que je passai à combattre au sein de l'opritchnina, devenant enfin un guerrier digne de ce nom et me faisant de nombreux camarades, mon chef Chovsky en tête, qui devint en fait mon maître d'armes.

La Suède capitula un an après la débâcle de Novgorod, et la Finlande devint russe. Mais cela, tu le sais, car c'est ce qu'on nous apprend à l'école. Je n'eus donc plus à combattre mes frères de sang, ce qui me soulagea même si j'étais devenu aussi russe que Chovsky. Cependant, les menaces sur la Russie n'en furent pas écartées pour autant, et nous entrainant à sa suite Ulfasso nous fit arpenter les steppes immenses de l'empire, pour l'empêcher d'être envahie par les hordes barbares d'Asie centrale qui ne cessaient de se lancer à l'assaut des frontières.

Un obscur jour de juin, où la pluie n'avait cessé de couler, nous tombâmes sur les restes d'un combat qui avait dû être violent : une troupe kazakh venait en effet de livrer bataille à une autre unité russe quelques jours avant que nous arrivions. Partout, ce n'était que cadavres dont la grande majorité était représentée par ce peuple guerrier et nomade, vivant à cheval, et réputés pour leur ardeur au combat. Mais alors que nous étions descendus de cheval pour inspecter le champ de bataille, un petit groupe d'une dizaine de Kazakhs fondit sur nous, arrivés de nulle part, et voulant sans doute tuer quelques Russes avant d'entrer au paradis l'arme à la main.

Ulfasso, pas plus que ses hommes, ne se démonta pas. Sans même remonter à cheval, il tendit sa main à Chovsky, qui se trouvait à ses côtés, avec Irvine.

— Passe-moi ton arc, lui ordonna-t-il simplement.

Irvine bandait déjà le sien, un sourire cruel sur les lèvres.

Chovsky donna son immense arc tatare à Ulfasso, et croisa les bras, attendant tranquillement la suite des évènements. Je m'approchai pour regarder, moi aussi, curieux de voir ce que savait faire Ulfasso avec un arc. Ce dernier, ayant planté son sabre devant lui, se positionna de trois quarts, l'extrémité la plus basse de l'arc touchant le sol. Il avait intercalé entre ses doigts trois longues flèches, et tendait la troisième à hauteur de ses yeux, visant le premier cavalier kazakh.

— Quatre, lança Ulfasso à Irvine, ce qui me montra que ces deux-là profitaient des évènements pour parier.

— Même mise, répliqua ce dernier.

C'était la première fois que je voyais utiliser un arc pareil, et d'une manière aussi peu conventionnelle. Ayant tiré la corde le plus loin possible, Ufasso la relâcha, et la flèche siffla, crevant l'air. Ulfasso ne vérifia même pas s'il avait atteint sa cible, il arma tranquillement la seconde avec une précision qui prouvait qu'il avait l'habitude de tirer de cette manière, et décocha ainsi toutes ses flèches, qui du reste allèrent toutes se planter dans le front du cavalier qu'il avait visé. De son côté, Irvine avait également tué quatre hommes, et jeta un regard amusé à Ulfasso que ce dernier lui rendit, tous deux semblant satisfaits de leur petit jeu comme s'ils venaient de se livrer à une simple partie de chasse.

— Ah, mais il en manque un ! remarqua soudain Chovsky, en voyant un dernier cavalier fondre sur nous avec un courage des plus remarquables.

— Il est à moi ! s'écria Irvine en saisissant une nouvelle flèche, qu'il tendit sur son arc. Mais, montrant trop d'empressement, il manqua sa cible, et la flèche atteignit le cheval, qui s'écroula alors que son cavalier, ayant sauté à terre, continuait en courant, un sabre en demi-lune à la main.

Irvine, fou furieux, arma une nouvelle flèche, mais elle fut déviée par Ulfasso.

— On ne tire pas sur un homme à terre, lui dit-il, laisse-le venir et se battre à l'épée.

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