Chp 8 - Fassa : sashimi

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Après l'épisode du « Trou du Hobbit », Lev ne cessa pas de m'appeler, pour me poser des questions très concrètes amenant des rencontres au cours desquelles je lui faisais découvrir mon monde. Lev était intelligent et curieux, et nous devinrent très vite des amis. Nous nous voyions dès que nous avions la moindre plage de libre dans nos agendas respectivement très chargés, et bientôt, nous étions inséparables comme les deux doigts de la main. J'avais avec lui des conversations qui pouvaient durer toute une nuit, mais aucun rapprochement physique ne s'était encore opéré entre nous. J'avais l'impression que Lev me respectait beaucoup, et il était tellement, comment dire, discipliné peut-être, qu'il ne tenta jamais le moindre geste déplacé envers moi.

Mais même s'il me bombardait de questions, Lev m'en disait très peu sur lui, et je continuais à être assez ignorante à son sujet. Quel genre de vie il avait, ce qu'il avait fait avant, aimait ou détestait, tout cela faisait partie des choses qu'il gardait soigneusement cachées. En fait, il avait une réserve que je pensais être toute scandinave, et c'était très difficile d'avoir accès à ses véritables pensées.

*

Un jour, pourtant, alors que j'avais manifesté de la curiosité envers l'endroit où il vivait, Lev proposa de me faire visiter sa maison. C'était là un signe d'ouverture certain de sa part, le début du lever du rideau de fer, pourrait-on dire sans trop risquer le mauvais humour. Il vint donc me chercher en voiture jusque devant une station de métro où je lui avais donné rendez-vous pour l'occasion, voulant éviter les regards curieux de mes colocataires, et sortit de la ville. Lorsque je vis qu'il prenait une nationale, et que le paysage autour de nous devenait de plus en plus sauvage, le soleil disparaissant derrière les sapins, je sentis soudain une sourde angoisse m'étreindre le cœur. Je jetai un coup d'œil à Lev, qui conduisait en silence, son regard clair fixé sur la route devant lui. Et si c'était un psychopathe à la American Psycho, un homme d'affaires blasé qui traquait les jolies femmes pour passer le temps, les attirant chez lui pour les découper en morceaux ? Lev avait un côté glacial qui collait parfaitement à ce genre d'image, et je ne savais pas grand-chose de lui. J'envoyais donc un texto à mes colocs, leur disant que j'étais sur la nationale 5 en partant d'Helsinki, m'apprêtant à aller chez Lev qui habitait, semblait-il, une maison bien excentrée.

Lorsque, après une bonne demi-heure de trajet, il s'engagea dans un chemin non goudronné qui quittait la route après être passé par un village, j'envoyais ma position exacte à mes amis, Erik en particulier, qui était peut-être le plus fiable et que je savais être à la maison.

— Tu vis drôlement loin d'Helsinki, remarquai-je en serrant mon manteau contre moi.

— Oui, répondit Lev dans un murmure bas et froid. J'aime la tranquillité.

Pour être tranquille, ça il l'est, pensai-je en observant qu'il n'y avait pas une maison à la ronde, et qu'autour de nous, ce n'était que forêt et montagne. Le paysage devenant de plus en plus sombre, Lev alluma ses phares, et il éclaira la silhouette d'une biche qui détala dans le sous-bois en voyant la voiture. Je me demandai quand est-ce qu'on allait enfin tomber sur la maison, espérant que ce ne serait pas une sombre cabane de bûcheron que je verrais surgir devant nous sur le chemin : ce qui signifierait alors que ne n'avais plus qu'à sauter de la voiture et à courir très vite.

Mais elle apparut bientôt, légèrement surélevée par un monticule et entourée de jardins en terrasse, avec un petit escalier qui y menait. Elle semblait spacieuse et lumineuse, toute en bois, et lorsque résonna le bruit des graviers sous les pneus, je soupirai de soulagement en pensant à quel point c'était bon de retrouver la civilisation. Lev coupa le contact juste devant un garage discret, et il fit le tour de la voiture pour m'ouvrir la portière.

DEVILISH LIESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant