Journal d'Erik Stormqvist 22 : La malédiction du démon

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Pendant ces longues semaines où je fis la course à Ulfasso, croyant dans mon délire apercevoir la longue cape qu'il portait à présent sur son armure, l'argent du sabre qui en dépassait et le noir de son cheval sur une colline avoisinante, je priai ardemment pour arriver à Trondheim avant lui. Ma quête avait pris une tout autre dimension puisqu'elle m'impliquait réellement à présent, Ulfasso ne se contentant plus de menacer la Russie mais le monde entier, jusqu'à ma famille.

La paix des fjords qui l'environnait dans le couchant me conforta dans l'illusion que ce bout du monde demeurait encore inviolé par la noirceur d'Ulfasso. Mais en arrivant au col duquel on pouvait apercevoir mon village en contrebas, je me rendis compte que je m'étais fourvoyé : Trondheim était en feu. Des volutes de fumée montaient jusqu'au ciel, les flammes tranchant de leurs langues rouges la nuit qui était tombée entre temps. Ulfasso y était parvenu avant moi, et il avait saccagé sans merci ce paisible village de paysans, le lieu où j'étais né et avais grandi.

Finalement, pensai-je amèrement, les Russes seront venus jusqu'ici. Je me précipitai dans le village, où s'amoncelaient les cadavres, faisant maison après maison en appelant ma mère et ma sœur. Mais celles-ci restaient introuvables, et aucun des visages torturés que je voyais ne m'était familier. Soudain, débouchant sur la place, j'aperçus la haute silhouette sinistre d'Ulfasso, qui avait rabattu sa sombre capuche en arrière. Je l'appelais, et il se retourna, semblant émerger des flammes mêmes.

— Ulfasso, lui hurlai-je. Sois maudit ! Qu'as-tu fait de ma mère et ma sœur ?

Mais au lieu de me répondre, ce dernier éclata d'un rire sardonique, dévoilant ce que je crus être de grandes dents pointues. Quant à ses yeux, jusque-là assombris par ses cheveux, ils semblaient luire d'une lueur démoniaque. Son sourire contenait la malice la plus abominable qu'on puisse voir sur un visage humain. Sans attendre, alors que je le fixais, mortifié par cette apparition bien plus terrible en vrai que dans mon souvenir, il fondit sur moi, courant dans ma direction à toute vitesse, le sabre derrière lui à la verticale et l'épaule en avant. Parvenu à quelques mètres, il monta sa garde, et se précipita en avant si vite que je ne pus le voir bouger, m'empalant sur sa longue lame, cette fois en plein milieu du ventre, comme il l'avait fait avec Chovsky et tant d'autres.

— Ah, Erik, dit-il enfin de sa voix rauque, tueur de dragons... Ne t'avais-je pas dit que tu finirais empalé sur mon sabre ? Tu le vois, la prophétie s'est réalisée...

Avec la force inhumaine qui le caractérisait, Ulfasso me souleva de terre à bout de bras, alors que je crachais le sang. C'est fini, me résolus-je, je vais mourir ici, dans le village qui m'a vu naître.

Mais je voulais tout de même savoir ce qu'il était advenu de ma famille.

— Ulfasso... Monstre impie, réussis-je à articuler. Qu'as-tu fait de ma mère et de ma sœur ?

Ulfasso rit à nouveau, avant de me répondre :

— Pauvre Erik... Ta mère et ta sœur, ont-elles seulement existé ? Ne sont-elles pas des personnages que tu t'es créé pour habiter ces fables que tu as imaginées afin d'échapper à ton quotidien banal et sombre de pauvre petit forgeron ? Tu n'as jamais eu personne, Erik, rappelle-toi. Je le sais, car depuis la première fois où ton regard a croisé le mien, tu m'as ouvert tes pensées, te rendant sans condition.

J'ouvris les yeux en grand, alors que m'assaillirent des images de mon enfance où ma famille était absente. Battu par un père qui avait fini par mourir d'un trop-plein d'alcool, j'y apparaissais comme le fils unique et orphelin d'une mère qui était morte en me mettant au monde et en me maudissant, m'attirant à jamais la réputation de renard. À cause de cela, j'avais été ostracisé comme porte-malheur, rongeant mon frein en pensant au jour où je pourrais enfin m'échapper de ce village que je haïssais.

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