Journal d'Erik Stormqvist 23 : l'enfer sur terre

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À Moscou, Ulfasso avait déjà instauré un règne de terreur. Après avoir assassiné le tsar, il était monté sur le trône, personne n'y trouvant rien à redire ni n'osant s'opposer à lui.

Cependant, les opposants existaient. Dans les familles nobles, notamment, on ne se réjouissait pas qu'Ulfasso se soit tout simplement approprié la couronne, entrant au Kremlin pour éliminer le souverain devant tout le monde, en pleine salle du trône, avant de s'en coiffer lui-même aussi naturellement que si elle lui avait toujours appartenu. Bien sûr, les jours suivants son couronnement officiel avait eu lieu à la basilique en présence de toute la cour, et alors que c'est là qu'ils auraient dû se lever et protester, les nobles tremblant de peur devant le terrible général des armées laissèrent Ulfasso devenir tsar de manière toute légitime.

Ulfasso était désormais le maître incontesté de toutes les Russies. Plus personne ne pouvait s'opposer à sa volonté. L'opposition était paralysée, les armées sous son contrôle, comme elles l'avaient toujours été, les partis adverses, anéantis. Il ne restait plus que moi. J'étais, malgré moi, la dernière chance de la Russie.

Je restai à Moscou, caché, arpentant les bas-fonds et les débits de boissons pour écouter critiques aussi courageuses qu'éventuelles et recruter tout mercenaire prêt à s'opposer au tout-puissant Ulfasso. Mais ce fut difficile. Les pires rumeurs couraient lui : d'après ce qui se murmurait dans les tavernes, le tsar sanguinaire faisait mettre à mort plus de cent personnes par jour et consommait des vierges à tour de bras qu'il décapitait au petit matin, forçant l'intendant à battre la campagne pour faire venir du nouveau personnel au palais. Il se livrait à la magie noire, avait remplacé la statue du Christ dans la chapelle du Kremlin par une tête de bouc sanglante, se délectait de sang et se faisait servir à table du lait de femme enceinte et des bébés bouillis. Outrage suprême, il forçait les nobles et les boyards à se prosterner devant le cadavre momifié de sa mère qu'il avait fait exposer dans une salle spéciale. Mais malgré ces horribles histoires, le peuple l'aimait. Pour les Russes qui n'avaient rien, Ulfasso était encore celui qui protégeait leurs villages contre les envahisseurs, tenant la Russie à bout de bras, et les critiques murmurées par les boyards et les nobles que les paysans haïssaient leur paraissaient infondées. Quant au fait qu'Ulfasso mène la vie dure à toute la cour, c'était pour le peuple russe à la fois normal et un juste retour des choses.

Encore une fois, j'ignorai si ces histoires épouvantables concernant ce qui se passait dans les murs bien gardés du Kremlin étaient vraies, mais ce n'était pas là mon problème. J'avais entendu suffisamment d'histoires terrifiantes sur Ulfasso et son armée pendant mes classes en Suède pour avoir appris à ne plus prêter foi à ces dernières, mais elles étaient un bon indicateur du niveau de rébellion des nobles. J'avais besoin de ceux-ci, si je voulais renverser le tyran.

Cela me prit deux ans pour recruter des partisans, nouer des contacts pouvant me faire rencontrer les nobles, réunir les factions adverses. L'opposition se focalisa non pas autour de moi, l'instigateur du mouvement, mais autour du prince Iemtchev, second successeur d'Ivan V après Ulfasso. Celui-ci contacta les souverains des petits royaumes menacés par la Russie, et même le Khan de Mongolie : tous les moyens semblaient bons pour expulser le neveu de l'ancien tsar du trône. Pendant tout ce temps, la Russie fut gouvernée d'une main de fer, retrouvant le visage totalitaire qu'elle avait eu sous Ivan IV. Le nouveau tsar faisait passer des réformes en force tous les jours, la plupart contraignant les boyards et la noblesse, alimentant la rancœur silencieuse de ces derniers. Les états satellites comme l'Ukraine et la Tchétchénie furent incorporés à l'empire au terme de campagnes aussi expéditives que sanglantes, surtout dans le cas de ces deux provinces qu'Ulfasso haïssait pour les raisons que l'on sait. Les monarques européens n'osaient même pas envoyer des émissaires à Moscou, et toute l'Europe restait dans une l'ignorance craintive de ce qui se tramait dans la Russie d'Ulfasso.

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