Chp 4 - Fassa : Oiseau de mauvais augure

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Lev eut l'amabilité de m'appeler un taxi, qu'il paya de sa poche malgré mes protestations, pour me ramener chez moi. Une fois arrivée, je m'écroulai sur le canapé. Le pire, c'est que je regrettais déjà d'avoir refusé de passer un peu plus de temps avec lui. Sur le coup, je n'avais eu qu'une envie : rentrer chez moi pour fêter ma victoire, le raconter aux autres. Mais quelle victoire ? Raconter quoi ? Lev Haakonen n'avait fait que signer une promesse de relocalisation avec les Amis de la Terre. Cela n'avait rien à voir avec moi. Il ne m'avait pas draguée, et je n'avais pas essayé de le séduire non plus. D'ailleurs, ce n'était pas dans ce but que je m'étais rendue à ce rendez-vous. J'avais atteint mon but, et c'était terminé.

Sauf que je me posais toujours la question. Pourquoi il ressemblait tant à ce prince russe sur le tableau caché au fin fond d'un château suédois, à Varnhem.

Maarti et Erik ne tardèrent pas à revenir eux-aussi, et à ma grande déconfiture, à m'interroger à leur tour.

— Alors, c'était comment ton rendez-vous avec le grand patron de Novka ? demanda Maarti. Tu as réussi à lui faire avaler le contrat facilement, ou tu as dû le supplier pour qu'il signe ?

— Faites-moi un thé d'abord, murmurai-je, et je vous le dis.

— Ah...échec ? fit Maarti alors que Erik se précipitait dans la cuisine.

Lorsqu'il revint avec une tasse bien chaude, tout gentil, je sortis le contrat de mon sac et le fourrai sous le nez de Maarti.

— Succès, annonçai-je. Mais ce n'était pas une mince affaire.

— Tu as eu du mal à le convaincre ?

— C'est pas ça, répondis-je. Mais ce type est une machine à calculer vivante. Alors que l'entrevue dans son bureau n'a duré qu'une dizaine de minutes, monsieur revenant de son jogging et voulant se changer avant d'aller manger, m'a trainé dans un restaurant russe louche où il m'a gardée en otage toute la journée, me faisant subir un interrogatoire serré tout en s'adonnant au bilan hypothétique des entrées et des sorties comptables de Novka pour les dix ans à venir, s'il se lançait dans le plan de l'asso. Finalement, ça l'a satisfait, alors il a signé. Mais c'était épuisant, et je n'en voyais pas la fin. Et moi qui étais déçue et vexée le matin, lorsqu'il m'a annoncé qu'il allait signer seulement au bout de cinq minutes de conversation ! Si j'avais su, j'aurais fermé ma gueule.

— Dur ! fit Maarti en riant. Alors, il te plait toujours, ou t'as décidé que non ?

— Je n'ai jamais dit qu'il me plaisait, répondis-je en lui jetant un regard noir.

— Ah, j'avais cru. T'as bien mangé, au moins ?, ajouta-t-il alors qu'Erik murmurait dans sa barbe qu'il détestait la « bouffe russkof ».

— J'aurais dû manger plus, me plaignis-je. Il me l'avait conseillé, d'ailleurs. Seulement, je n'ai pas osé m'en mettre plein la panse devant lui, surtout qu'il a payé la note. Mais si j'avais eu une petite idée de ce qui m'attendait, j'aurais commandé du caviar pour tenir le coup.

— Tu l'as tenu, le coup ! s'exclama Helmut. Et t'as fait signer à Lev Haakonen ton premier contrat. T'es une guerrière, Fassa.

— Peut-être, murmurai-je, réalisant soudain ce que je venais de faire.

Obtenir la signature de Novka, personne chez Hystävät ne devait y avoir seulement rêvé. Et moi, débutante dans l'action militante, il ne m'avait fallu qu'une semaine pour que Lev Haakonen pose la sienne sur mon contrat.

— C'est ça, les Russes, fit soudain Erik avec une grimace dégoutée qui chiffonna sa bouille de chaton. Du genre à essayer de faire rentrer un boulon carré dans une serrure ronde jusqu'à ce que la porte cède !

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