Journal d'Erik Stormqvist 25 : la bataille des deux armées

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Ayant appris que la noblesse s'était soulevée et que les Romanov avaient pris le Kremlin, Ulfasso scinda ses armées en deux et renvoya le gros de ses troupes à Moscou. On raconte qu'il aurait dit à ses officiers : « Faites ce que vous voulez, mais moi, je ne peux pas laisser la Russie se faire mettre en pièces par les barbares pendant que vous vous querellez stupidement pour une histoire de succession », retrouvant ainsi l'abnégation et le dévouement qui étaient siens lorsqu'il combattait pour le tsar. Et quasiment seul, entouré d'un petit groupe de moins de mille cinq cents hommes prêts à mourir pour sa cause, il alla à la rencontre des trois mille Mongols du grand Khan.

Les deux armées se livrèrent une bataille dantesque, mais la nouvelle armée russe, bien moins entrainée et soudée que ne l'était la glorieuse « Garde Blanche », se fit submerger par le nombre. C'est à ce moment-là qu'Ulfasso décida d'abattre ses dernières cartes, et plantant son sabre en plein milieu du carnage, sur un monticule de cadavres ennemis qu'il avait anéanti de son seul bras, il mit en œuvre sa magie, appelant le ciel à se déchainer sur l'armée présente à grand renfort d'imprécations mystérieuses. Les deux milles Mongols furent balayés par un cataclysme qui fit de l'épicentre du combat un véritable cratère, et j'arrivais à ce moment-là.

Je me souviens avoir aperçu Ulfasso de dos, debout au milieu d'un no-man's land, le visage tourné vers le ciel déchiré qui déversait des torrents sur son visage. « Je ne sais pas pourquoi je me bats », crus-je entendre alors que me précipitais derrière lui, le sabre de Chovsky dans les mains. J'en frappai Ulfasso affaibli de toutes mes forces, l'atteignant sérieusement sur le côté droit, et manquant de trébucher, il se releva et se retourna, me faisant face.

C'était la première fois que j'arrivais à toucher Ulfasso. Même si une telle blessure était loin d'être suffisante pour le tuer, elle me donna de l'assurance. Du reste, j'allais en avoir besoin face à un démon acculé, à l'apogée de sa folie de destruction.

— Erik, dit-il dans un sourire en me voyant, te voilà enfin.

Ulfasso avait l'air ravi que j'aie traversé encore une fois toute la Russie pour avoir sa tête, mais cela ne se l'empêcha pas se jeter sur moi avec sa férocité habituelle. Mais cette fois, j'arrivais à tenir le rythme avec lui, et Ulfasso, enivré par ce qui en fin de compte n'était pour lui qu'un jeu, le reconnut.

— Je retrouve l'obstination d'Anton et la science du sabre de Roman dans ton escrime, me lança-t-il pendant le combat, alors que je me retrouvais un moment lame contre lame avec lui. Tu ne peux imaginer comme cela me comble de joie !

Entendre Ulfasso évoquer ses amis défunts me prouva une fois de plus que, depuis qu'il avait perdu la tête, il se trouvait dans un désarroi immense, et cela me conforta dans ma résolution de mettre fin à ses souffrances. C'est cela qui me permit de tenir face à lui, de me pas me laisser dominer et de rester debout. Car face à Ulfasso, qui une fois de plus resplendissait de toute sa magnificence, on ne pouvait que tomber à genoux. Sa volonté était si forte qu'elle brisait la vôtre comme du verre, et il suffisait de croiser son regard pour se retrouver pétrifié, vaincu.

Ulfasso était un guerrier magnifique, le plus grand de tous. En dépit de toute la haine que je lui portais, je dois le lui reconnaître. Et malgré la tension extrême qu'il faisait peser sur moi, de tous les souvenirs douloureux qui me revenaient en le voyant, je ne pus m'empêcher, comme lui, de prendre plaisir à croiser le fer avec mon ancien général. Nous étions enfin sur un pied d'égalité, il me reconnaissait comme un guerrier de son niveau, et ne recourrait pas à sa sorcellerie, échangeant avec moi passes d'escrime et figures de style. J'eus déployé pour la première fois devant moi l'immensité de son art de l'épée, porté à une perfection qui n'a jamais été égalée.

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