Chp 11 - Fassa : glace et feu

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Je ne passai pas la nuit chez lui. Il eut la délicatesse de me raccompagner comme c'était prévu à la fin de la soirée, et je lui en fus très reconnaissante. Mais à peine arrivée chez moi, je regrettai de ne pas avoir passé la nuit là-bas. C'était chaque fois la même chose. La présence de Lev me manquait physiquement. Son odeur, sa voix. Ses yeux verts si perçants.

L'appartement était plongé dans le silence. Le seul encore debout était Erik, encore plongé dans le bouquin qu'il ne quittait pas depuis une semaine, « La Compagnie Noire » de Cook.

Erik, avec ses tenues de jeune rebelle, ses cheveux sculptés au gel, ses oreilles percées et son petit minois bougon, avait l'air de tout sauf d'un intello. Mais ce n'était qu'une image, car il était en réalité passionné de poésie et très calé en littérature. Je savais également qu'il écrivait, mais je n'avais jamais réussi à lire une seule de ses lignes. Il ne partageait avec nous que ses scénarios de jeu de rôle, pour les campagnes du samedi soir. C'était toujours lui le maître de jeu.

Lorsqu'il vit la porte s'ouvrir, Erik releva son nez de son bouquin, les sourcils légèrement levés au-dessus des lunettes qu'il mettait pour lire.

— Alors ? me demanda-t-il.

— Je ne sais pas si je peux considérer Lev Haakonen comme mon petit copain, mais en tout cas, on s'est embrassé, lui confiai-je, aussi excitée qu'une gamine qui revient de sa première boom. En vrai, j'ai passé une super soirée !

Erik referma son livre et retira ses lunettes de son nez.

— Surveille tes arrières quand même, fit-il en plongeant ses grands yeux bleus dans les miens. Il faut toujours se méfier des Russes. On ne sait jamais ce qu'ils pensent vraiment, comme les dobermans. Et ils mordent sans prévenir.

Je ris à cette comparaison colorée.

— Ne t'inquiète pas, j'ai été très prudente. Surtout après avoir découvert un sabre japonais de plus d'un mètre soixante-dix exposé dans la chambre de Lev, expliquai-je en retirant mes escarpins. Je l'ai charrié dessus toute la soirée.

Erik se redressa, l'air alarmé.

— Un sabre japonais ? Tu veux dire, un katana ?

— Lui, il appelle ça un no-dachi... Mais il y avait beaucoup d'autres objets un peu bizarres chez Lev, comme un singe empaillé ou une robe de cour chinoise exposée sur un portant. Je crois que ce sont des cadeaux qu'on lui fait lors de ses voyages d'affaire en Asie.

— Il est comment, ce sabre ? insista Erik.

— C'est un sabre japonais, qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ? Il y a pas mal de gens riches qui collectionnent ce genre de choses.

— Sûrement, murmura Erik sombrement.

— Et puis, toi qui me dis qu'il faut se méfier des Russes, tu te bases sur quelle source pour émettre une telle affirmation ?

— J'ai pas mal côtoyé les Russes à une certaine époque, répondit Erik, le regard hanté. Notamment un, qui m'a passé l'envie d'en rencontrer d'autres.

Il avait dit cela comme s'il avait eu une longue expérience de la vie. Son air très sûr de lui me fit rire.

— Allons Erik, dis-je gentiment en lui passant la main sur l'épaule. Ce n'est pas parce que tu as été traumatisé par un caïd appelé Boris à l'école que tu dois tous les mettre dans le même panier. Je suis sûre que tu t'entendrais très bien avec Lev !

— Ça m'étonnerait, grommela Erik d'un air bougon.

Je le regardai se replonger dans son livre avec son air de chaton sérieux. À bien y réfléchir, pensai-je alors, ce n'était pas sûr qu'Erik et Lev s'apprécient s'ils venaient à se rencontrer : un chaton et un Doberman ne peuvent pas être amis.

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