Journal d'Erik Stormqvist 13 : la fin de la Garde Blanche

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Finalement, à l'aube du troisième jour, Ulfasso réapparut. Il se planta au milieu de l'église, la tête basse, le visage caché par ses cheveux. Cette scène m'évoqua celle du mausolée à Novgorod, et elle était pour moi porteuse de bien mauvais augures.

— Ulfasso, fit alors Chovsky en le rejoignant, vas-tu enfin me dire ce qui t'arrive ? Tout le monde est mort d'inquiétude.

Ulfasso le dépassa, puis s'avança à grands pas vers l'autel, semblant avoir retrouvé sa vitalité d'antan.

Il passa devant moi en m'ignorant, puis il s'arrêta devant le Christ sur la croix, levant le nez vers lui.

Il va encore se lancer dans une de ses crises mystiques, pensai-je, plutôt rassuré. Et après, il sera de nouveau l'homme qu'on connait, et tout redeviendra normal.

Cependant, comme Irvine quelques jours avant lui, Ulfasso se mit à déclamer des paroles obscures.

— Alors, tout n'était que mensonge et illusions, dit-il. Même ma famille m'a menti...

Il éclata alors d'un rire sinistre, et dans une violente crise de démence aussi soudaine qu'inattendue, il se précipita sur l'autel et en balaya tout le contenu du revers la main, avant de sortir son sabre pour s'attaquer au Christ sur la croix, qu'il décapita rageusement.

— Je maudis la Russie ! hurla-t-il d'une voix grondante qui me glaça les sangs. Je renie le Christ !

À ce moment-là, Chovsky se précipita sur lui.

— Arrête, Ulfasso ! s'écria-t-il. Qu'est-ce qui te prend ?

À ma grande surprise, mais aussi à mon grand soulagement, Ulfasso stoppa net son sacrilège et se retrouva dans la même position que tout à l'heure, le sabre pendant à bout de bras.

— Je n'ai pas été choisi par Dieu pour sauver la Russie, Anton, déclama-t-il alors d'une voix basse. Je suis un homme maudit, qui n'a sa place nulle part sur terre. Je suis le fils du démon ! L'antéchrist, l'incarnation de Lucifer sur Terre !

À cette évocation, proférée avec force, je me signai, très grave.

— Le fils du démon ? L'antéchrist ? Mais qu'est-ce que tu racontes, enfin, Ulfasso ? fit Chovsky sans m'avoir jeté un regard.

— Ma mère, gémit Ulfasso en se prenant la tête dans les mains. Elle a été choisie par Satan pour porter l'incarnation de Lucifer, l'ange rebelle qui devait mener les légions démoniaques à la victoire contre le Créateur... c'est pour ça qu'elle a perdu la tête, et a fini par se suicider ! Je suis damné, Tonya, un bâtard maudit.

Chovsky, désemparé, tenta de ramener Ulfasso à la raison. Quant à moi, j'étais tétanisé.

— Non, Liova, tu n'es pas maudit... ta mère est devenue folle à cause des années de captivité qu'elle a enduré en Extrême-Orient, sous la férule de ce seigneur de la guerre. N'écoute pas ce que disent les Tchevsky, et encore moins les Cheremetiev. Ce ne sont que des luttes de pouvoir entre nobles, ils cherchent juste à te discréditer.

Ulfasso releva la tête vers son ami. Pendant un moment, à la lumière qui se lisait dans ses yeux, je le crus raisonné.

— Tu ne crois donc pas en Dieu ni en Diable, Anton ?

— Bien sûr que j'y crois. Mais ils jouent sur un échiquier autrement plus grand que le nôtre. Ils ne se mêlent pas de nos affaires, et restent sourds à nos suppliques. Et les anges comme Dieu sont infaillibles, Liova. Tout arrive pour une bonne raison, sois rassuré.

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