Journal d'Erik Stormqvist 8 : Irina

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Curieux, je chevauchai non loin de la nouvelle recrue. Les trois capitaines, Ulfasso, Chovsky et Irvine, trottaient comme souvent loin devant.

Cette Kazakh savait monter à cheval. Elle était même, je pense, meilleure cavalière que moi. J'eus du mal à suivre son rythme, mais lorsque je fus parvenu à sa hauteur, je réussis à me maintenir à son allure.

— Hé, lui criai-je alors qu'après m'avoir jeté un rapide coup d'œil, elle pressait son cheval de ses longues rênes. Attends-moi !

— Qu'est-ce que tu veux ? me répondit-elle, ses longues nattes brunes volant derrière elle. N'as-tu pas entendu ce qu'a dit ton démon de maître ? Tu veux mourir transpercé par une de ses flèches ?

— Je veux juste parler, fis-je en la rattrapant. Et Ulfasso n'est pas un démon, c'est un bon général. Il est droit et juste.

La fille tira sur les rênes de son cheval.

— Ah oui ? Pour moi, c'est un Russe, donc un ennemi !

— Ne t'a-t-il pas sauvé la vie ? Il a fait la même chose avec moi, tu sais.

Cela éveilla la curiosité de la jeune fille.

— Tu n'es pas Russe ? D'où viens-tu ?

— Je suis Suédois. Je viens du village de Trondheim, à la frontière. Je m'appelle Erik Strormqvist.

— Et comment en es-tu arrivé à être dans l'armée russe ?

Je décidai de lui raconter mon histoire.

— En fait, je me suis enrôlé dans l'armée royale de Suède, et lors de la première sortie de notre bataillon, nous sommes tombés sur l'armée d'Ulfasso qui nous a tous décimés. Il n'y a qu'à moi qu'il a laissé la vie sauve, parce que, comme toi, j'ai fait preuve de courage. Depuis, je fais partie des opritchniki...

— Et comment peux-tu l'aimer, puisqu'il est ton ennemi, et a tué tous tes frères ? tempêta la Kazakh.

— Il m'a sauvé la vie, alors que les miens voulaient ma mort. Et surtout, aucun capitaine suédois n'arrive à la cheville d'Ulfasso. Il est fort, généreux, juste et droit, et il sait ce que honneur veut dire. Il a beau avoir été mon ennemi, je l'admire et le respecte. Je le suivrais en Enfer s'il le fallait !

Je pensais vraiment ce que je disais. Ulfasso, et ses oppritchniki étaient devenus ma seule famille.

— C'est la magie d'Ulfasso qui t'aveugle, rétorqua Irina. Il est le fils de Satan, un outrage à la face de Dieu !

— Pour les Russes, Ulfasso est au contraire guidé par la main divine. Tu le verras bientôt, de toute façon, et si tu restes aveugle aux signes et trahis, alors il te tuera !

Ayant dit cela, je talonnai mon cheval et la dépassai.

Le prince avait l'air de tenir cette fille en haute estime : il la laissait chevaucher seule et déliée, là où tant de femmes dans la même situation s'étaient retrouvées la tête en bas et les mains dans le dos, jetées à l'avant du cheval du soldat qui l'avait prise, avant d'être violées tous les soirs. J'avais moi-même craint le pire quant à son sort, mais je dois avouer que plus je côtoyais mon général, que plus j'apprenais à le connaître – dans la mesure où on peut connaître quelqu'un d'aussi mystérieux – plus j'en arrivais à la conclusion que le prince Ulfasso Levine Tchevsky, dont le nom avait été chez moi synonyme du mal absolu, n'était pas si cruel qu'on le disait. Ulfasso était adoré de ses hommes, qui le considéraient d'une intégrité et d'un courage exemplaire, et moi comme eux, je lui vouais une confiance aveugle.

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