Journal d'Erik Stormqvist 10 : sombres augures

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La rage d'Ulfasso éclata soudainement le jour suivant. Il entra dans mes quartiers, où j'étais prostré, et abattit sa colère sur moi comme la calamité sur le monde.

— Pourquoi as-tu pris l'initiative de quitter le camp avec Irina ? tonna-t-il en me soulevant par le col. Je devrais te mettre à mort !

Je me jetai à genoux.

— Fais-le, seigneur, murmurai-je, car je n'ai pas su la protéger.

J'étais sincère. Je voulais mourir, écrasé par la culpabilité et la perte d'Irina.

Ulfasso, fou de rage, me traina hors de ma tente, me jetant sur la terre battue. Dégainant son sabre, il jeta le fourreau loin derrière lui, levant la lame au-dessus de sa tête.

— Ça, Ulfasso, fit Irvine avec délectation en venant se planter là les bras croisés, tu aurais dû le faire bien avant !

Roman me haïssait depuis le début. J'en avais désormais la confirmation.

Qu'importe, pensai-je. J'ai mérité la mort.

Mais à ce moment-là, alors qu'Ulfasso hésitait toujours, la rage se lisant dans ses yeux, Chovsky déboula comme un fou. Une fois de plus, je dus mon salut à son intervention.

— Non, Ulfasso ! s'écria-t-il. Ne cherche pas à calmer ta douleur dans le sang ! Erik n'y est pour rien, c'est sur ton ordre qu'il est parti en reconnaissance avec Irina !

Alors qu'Irvine plissait les yeux de rage, Ulfasso se tourna vers lui.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— C'est toi qui as envoyé Roman donner cet ordre à Erik avant-hier, répondit calmement Chovsky. Tu le sais. Baisse ta lame, Ulfasso.

Mais ce dernier tourna alors son visage, sur lequel se lisait une colère glaciale, vers Irvine.

— Toi... ! murmura-t-il d'une voix rauque. Comment as-tu osé ?

Irvine se précipita sur son épée, se mettant immédiatement en garde.

— Oui, c'est moi qui ai envoyé Erik et Irina en reconnaissance, Ulfasso, avoua-t-il avec flegme, l'arme levée pour se défendre. C'était une erreur, je le reconnais, ils n'étaient pas assez expérimentés. J'aurais dû y aller moi-même.

Sur ces mots, Ulfasso se précipita sur lui avec un grognement fauve, mais une fois de plus, Chovsky les sépara.

— Arrêtez, mes amis ! les exhorta-t-il d'un large geste, n'hésitant pas à se mettre entre leurs lames. N'avons-nous pas déjà eu notre lot de tragédies ? Pleurons Irina en silence, et honorons sa mémoire en nous comportant comme de véritables soldats du tsar, au lieu de passer notre colère en nous entre-tuant comme des animaux.

Il s'approcha d'Ulfasso qui restait là, les bras ballants, et lui enserra les épaules.

— Je comprends ta colère, Ulfasso, lui dit-il, mais Roman Irvine, qui est ton ami et ton premier capitaine, croyait bien faire. Pardonne-lui son erreur.

Irvine sut, pour une fois, faire profil bas et, affectant la peine, il s'excusa devant Ulfasso.

Ce dernier nous jeta un dernier regard, puis rengaina son sabre et s'éloigna. Pour ma part, je fus relevé par Chovsky, qui tentait de me réconforter en m'assurant qu'il savait que j'avais tout fait pour sauver Irina. Je notai le coup d'œil qu'il lança à Irvine. Chovsky savait. Il savait que le jeune noble nous avait envoyé à la mort en toute connaissance de cause.

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