Chp 33 - Fassa : la version de Lev

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Je demandai au taxi de me déposer devant chez Lev. Il n'y avait pas de grille, juste des champs présentement couverts de neige, avec une forêt de sapins, une falaise et un lac en contrebas. La maison de Lev se trouvait juste à l'orée de ce bois. N'importe qui aurait pu y aller, mais c'était loin de tout, au milieu de nulle part. Lev m'avait dit qu'il avait acheté tous les terrains autour sur plusieurs hectares, y compris les bois, pour être sûr d'être tranquille. Le voisin le plus proche était à une dizaine de kilomètres. Alors, avant de descendre de la voiture, je fis comme la première fois que Lev m'avait emmené : j'envoyais un message. À ma mère, cette fois.

「Je suis chez Lev. Voici les coordonnées GPS.」

Et j'appuyai sur « envoi ». Derrière moi, le taxi fit demi-tour. Je le regardai disparaitre dans l'immensité blanche. Au loin, sur les sapins, le crépuscule arctique commençait à nimber le ciel de ses coulées d'or. En posant les yeux sur l'immensité du lac en contrebas, je visualisai le drakkar emmenant le corps de Chovsky vers l'autre monde, comme me l'avait décrit Erik.

Allez, courage. Parle de ce tableau à Lev. Il a sûrement une explication.

En espérant qu'il arrête de me mentir.

J'avais à peine mis un pied sur la terrasse que sa voix grave se fit entendre. Vu son ton très froid, il n'était pas dans ses bons jours.

— Tu peux entrer, Fassa. C'est ouvert.

Il était sur son canapé, pieds nus et chemise ouverte, vêtu d'un simple pantalon d'intérieur. Ses cheveux en bataille retombaient sur son front bronzé par la pratique du ski et du jogging au grand air. La vitesse avec laquelle sa tignasse avait repoussé... Il pouvait se faire une petite queue de cheval, ce qu'il avait, présentement. Il planta ses yeux lagon dans les miens, et je sentis toute la résolution m'abandonner.

— Alors ? Ta mère va mieux ?

Je poussai un profond soupir.

— Arrêtons de nous mentir. Tu sais aussi bien que moi qu'elle va bien.

Lev me jeta un regard incisif. Visiblement, il n'avait plus envie de plaisanter.

— Bon... Tu as eu des nouvelles d'Erik ?

Je quittai mon observation du salon pour regarder à nouveau mon fiancé. Il soufflait sur un mug rempli d'une boisson chaude, me regardant par en-dessous. Son portable était posé juste devant moi, en charge, sur la petite table contre le mur. Un IPhone. Lev, alors qu'il vendait des téléphones à clapet, était l'une des rares personnes que je connaissais à posséder un smartphone. Ça, il ne manquait pas de sens de l'ironie...

— Il a fait une TS. Il est à l'hôpital. Son copain Konosuke est avec lui.

Lev haussa un sourcil surpris.

— Une TS ? Carrément ?

— Je connais pas les détails, mais visiblement, il a pris trop de médicaments.

— Et c'est à cause de moi ?

— Je sais pas, répondis-je en braquant mes yeux dans les siens. T'en penses quoi ?

— J'en pense qu'Erik est un pauvre garçon, asséna Lev froidement. Je ne me doutais pas qu'il était aussi tourmenté.

Je tirai un gros pouf en osier, et m'assis dessus.

— Erik... Tu l'as connu sur le front pendant la guerre de Tchétchénie, hein, Lev ?

Lev plissa les yeux. Ce fut subtil, mais néanmoins perceptible.

— Qu'est-ce qui te fais dire ça ?

Prudent. Il n'avouait rien, mais ne cherchait pas non plus à nier.

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