chapitre 22 : le couloir éternel de la mort

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JAY

Le plus atroce dans la guerre, ce n'était pas tant les temps de bataille, mais plutôt les temps calmes qui les séparaient. Jay avait déjà fait quatre fois le tour de la base de Naples avant qu'il ne vienne s'écrouler sur un vieux canapé miteux en cuir déchiré qui se trouvait dans la salle de calme. Il s'allongea à plat, tel une planche et regarda le plafond. Il croisa ses bras derrière sa nuque et releva un genou à lui, comme si changer de position allait l'aider à réfléchir. 

Deux jours étaient passés depuis Avellino et il commençait à trouver la même et unique réponse à toutes leurs problématiques... Une réponse qui ne lui plaisait pas du tout et n'allait plaire à absolument personne d'autre.

S'ils avaient réussi à tous sortir de la ville sans presque aucun blessé et pas de morts, ils n'en avaient pas eu moins du mal. Heureusement que la troupe Texane du premier déploiement avait été là bien avant eux ou les Américains, parce que sans leur connaissance des lieux, ils auraient été, à l'heure qu'il était, des boulettes sur des brochettes. Jay n'avait encore jamais combattu dans le froid et dans la neige et dit comme ça, quand on était camouflés, ça avait l'air plutôt simple...

Mais Jay était un soldat du chaud. Sniper, qui plus était...

Il avait donc appris à tirer avec les vagues de chaleur, à repérer l'ennemi dans les débris des dunes et des roches... Certainement pas du soleil Italien qui brillait sur une couche si épaisse de neige qu'on aurait dit un enfant qui avait mit bien trop de chantilly sur son dessert. 

Si l'ennemi, il le connaissait, les environs, certainement pas. Alors en tant que bon officier qui faisait ses preuves, il avait ravalé sa frustration en moins de deux et délégué à ceux qui savaient s'y prendre. Et justement, parmi la troupe envoyé par leur gouvernement, il y avait quelques des hommes de Christian... Et ce ne fut plus un problème à partir de là.

Quand ils ont enfin pu rentrer, après quelques escapades dans les villages autour pour perdre leurs traces, ils ont enfin pu revenir à la base, et ça, juste avant que le blizzard reprit, effaçant ainsi toutes leurs traces.

Ce qui fut délicat ensuite, c'était de devoir leur expliquer. Leur expliquer ce qu'ils foutaient là et ce qu'ils représentaient. Heureusement, enfin pour autant que ça l'était, ils étaient trop fatigués, affamés et pas en état pour faire les fines bouches. Dans cet enfer blanc mi chaud, mi froid, toute aide était devenu bonne à prendre. Et puis la morale avait déjà depuis longtemps disparu.

Et c'était là que Jay repensa à nouveau à la fameuse réponse. A cette unique réponse. Il ferma avec puissance ses paupières pour essayer de s'en débarrasser mais il ne pouvait pas fuir sa propre tête...

Il se releva et décida quand même de refaire un tour de la base. 

Qui sait, peut être que ça allait quand même aider...

***

Jay passa devant le quartier médical et s'arrêta sous les gémissements des hommes. Il retira les mains de ses poches et revint sur ses pas pour jeter un coup d'œil dans les petites vitres sur les battants des portes. La salle générale avait été transformé en dortoir pour accueillir plus de blessés. Lit après lit, il y avait quelqu'un qui tendait le bras vers les médecins et infirmiers qui, encore en tenue de terrain, essayait de survenir à tout leurs besoins. De plus en plus de militaires revenus des batailles autour de Naples tombaient bien des jours après... Comme si l'adrénaline et le froid conservaient leurs conditions physiques au top et qu'une fois qu'ils étaient au repos... 

Sentant un courant d'air froid dans son dos, Jay se tourna et se rapprocha à petits pas silencieux de la salle en face de celle-ci. Sur le panneau qui était accroché au dessus de la porte, vieille et tâchée de rouille, on pouvait encore distinguer "centre antipoison". Jay se laissa un peu basculer sur le côté pour pouvoir rentrer et un grand air frais l'envahit. Il enfonça donc sa tête dans le col de son uniforme, enfouit ses mains dans ses poches et descendit le long couloir vide qui avait été fermé pour ne pas user le générateur de la base trop vite. Après tout, cela faisait longtemps qu'il n'y avait plus aucun scientifique ou médecin qui se trouvait dans ces laboratoires pour pouvoir traiter des éventuels intoxications... Il ne savait pas pourquoi il était entré, certainement encore moins maintenant qu'il avançait sur ces carrelages blancs éclairés par des néons aveuglants... Mais il était là. Il commença à grelotter sous le froid et il put sentir la peau de ses lèvres commencer à craqueler mais c'était pas à ça qu'il prêtait attention.

Mais plus à la salle qu'il venait de découvrir.

Une grande salle vide où toutes la machinerie était collée contre les murs, inerte et couverte de bâches blanches. Enfin, pas si vide en fin de compte.... Il y avait des corps. Une bonne centaine, même, voir plus. Allongés les uns à côté des autres, droits, immobiles, recouvert eux aussi d'un édredon blanc. 

Face à cette vue, Jay cessa de grelotter. Il sortit ses mains de ses poches et son pas devint encore plus lent. Certains avaient les draps tâchées de sang, d'autres une main inerte qui en dépassait... Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu une telle déposition désespérée de corps. Depuis le Nigeria, en fait. Sauf qu'à la différence près, au Nigeria, les corps pourrissaient au soleil, à la merci des mouches et d'autres charognards sauvages. D'ailleurs, Jay devait se réjouir qu'il ne sentait absolument aucune odeur venant des cadavres... Mais au contraire. Ce silence, littéralement mortel, lui filait la chair de poule. 

Jay frissonna sous le coup et s'arrêta de marcher, posant ses yeux sur chaque personne qui était couchée sur ce sol carrelé. Oui, parce que c'est ce qu'ils étaient, des personnes. Pas des rats de laboratoire à qui on avait à peine épinglé une feuille de nom et de famille sur leurs édredons.

Mais après tout, comment blâmer ceux qui avaient fait ça ? Y avait il encore moyen de rapatrier ? Et puis même, rapatrier à qui ? Quasi tout le monde avait fui. 

Jay ravala donc sa rancœur et s'apprêta à s'en aller quand un courant d'air froid fit voleter l'un des draps d'un corps, mettant ainsi es affreuses blessures à vue d'œil. Il se rapprocha de lui pour le lui remettre, s'agenouilla dans un grincement de genoux, mais au moment où il allait le faire, il s'arrêta. Le tissu blanc rêche entre ses mains, il vit le visage du pauvre garçon. Oui, c'était ça, le problème, c'était qu'il n'était encore qu'un gamin. 19, peut être 20 ans, pas plus... Ses yeux bleus voilés regardaient le plafond sans le voir. Son jeune visage innocent était tordu par la terreur... Heureusement, à en juger les trois petits trous qui lui trouaient le côté droit de son uniforme militaire Italien, il n'avait pas souffert longtemps.

Pouvait on en dire autant pour les autres ? 

Jay tendit la main vers ses yeux et lui ferma les paupières. Son attention dévia ensuite vers ce qu'il tenait dans son poing. Il y avait un bracelet de montre qui en dépassait. Il le lui prit et vit que c'était une vraie pièce de collection, ce genre de choses qu'on donnait de père en fils. Jay la retourna et en effet, il y avait quelques mots en Italien de gravé. Peu importait s'il ne connaissait pas la langue, il sentit le pouvoir que ça générait. Le jeune officier la lui reposa sur le torse et croisa ses mains dessus avant de le couvrir à nouveau de l'édredon. Il se releva ensuite en lui murmurant quelques mots respectueux et c'était là qu'il se rendit compte, qu'en effet...

Il n'y avait plus aucune autre solution que celle qu'il avait conclu. 

One Last Mission T05 ~The Wars We Fight For| ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant