chapitre 93 : la France déchue

62 6 3
                                    

Deux semaines plus tard, quelque part en bas des Alpes françaises

JAY

Les lèvres de Jay n'avaient jamais été aussi scellées. Gercées et sanguinolentes, ne serait-ce que passer sa langue dessus lui donnait la dolente envie de grogner.

Cependant, aucun son ne fraya son chemin à travers ses cordes vocales. Elles étaient trop meurtries par des mois de cris incessants pour se le permettre.

À la place, il fronça ses sourcils et passa constamment sa main dans dans sa nuque. Tout le long de la route, pendant des kilomètres et des kilomètres encore, il avança, tête baissée, vers une destination qui lui était totalement inconnue.

Chelsea, en revanche, était différente. Peut-être parce que son silence n'avait jamais été entendu, auparavant, ou peut-être parce qu'elle ne cessait de regarder en arrière.

Descendus des montagnes depuis quatre jours à présent, la jeune femme se promenait partout avec une bombonne de peinture. Elle marquait chaque pierre tous les kilomètres avec une flèche verdâtre.

Jay aurait bien voulu lui demander pourquoi, mais il était trop occupé à se taire.

Il se frottait les mains aussi, plus que d'habitude. Il les frottait et frottait et frottait encore... Mais le sang refusait de quitter les sillons de ses ongles. Sauf que lorsqu'il les rogna, c'était le sien qui se mettait à stagner.

Un cercle à jamais vicieux.

S'il avait un jour connu la propreté, il était révolu.

S'il avait un jour espéré une nuit de sommeil, il était révolu.

S'il avait un jour entendu le vent souffler depuis les cimes fondus, il était révolu.

Le métal. Grinçant et acerbe, écorchait ses tympans, encore et encore, lui rappelant sa déchéance à la manière d'une lullaby infernale.

Voilà une énième folie qu'il allait devoir supporter jusqu'à la dernière seconde de sa vie. Ce qui ne saurait tarder au gré des grincements de ses genoux fatigués.

La chaleur épinglait la nuit avec tant de ferveur que le capitaine déchu peinait à garder son souffle rythmé. Tenant ses affaires à bout de bras, la sueur perlait le long de ses muscles fatigués. La côte française s'était retranché au-delà de ses bancs, ne laissant qu'une odeur de moisi et une vague ondulante de chaleur si éprouvante qu'elle suffoquait, même durant la nuit.

Des conditions quasi inhumaines qui forçait à le faire arrêter, pour la première fois depuis qu'ils avaient repris leurs routes. Plié en deux, paumes enfoncées dans ses genoux grinçants, Jay n'inhalait rien d'autre que ce qu'il venait d'expirer.

Chelsea, elle, s'assit sur le sol avec prudence, attachant ses cheveux cendrés dans un chignon fainéant.

- On devrait s'arrêter pour la nuit.

- Ce n'est pas comme si on était pressé, après tout, pas vrai ?

- Jay...

- Avoue que c'est ce que tu voulais dire.

En temps normal, elle aurait répondu et Jay le savait rien qu'en voyant à la manière où ses mâchoires s'entrechoquaient.

One Last Mission T05 ~The Wars We Fight For| ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant