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chapitre 96 : surprise au cimetière

SHAYNE

Deux semaines plus tard, Dallas.

Enrouler la cravate autour du coup. Replier le col de la chemise. Enrouler les pans. La nouer. Puis, les boutons de manchette. Compter combien de médailles il faut porter. Nouer les lacets.

Et tout recommencer. 

La cravate à nouveau. Cette fois-ci, les bottes d'abord. Serrer les lacets jusqu'à ce que le sang ne parvienne plus aux chevilles. Les boutons de manchette.

Et soupirer.

Rien ne sera parfait. La chemise n'était pas assez blanche. L'étoile solitaire du drapeau noué autour de la fourragère dorée, non plus. La cire pour les bottes commençait à dater.

Rien n'était parfait. Plus rien ne sera jamais parfait. 

Shayne dut gronder pour ne pas laisser échapper un gémissement presque chagriné. Les yeux à demi plissés par un soleil arrogant, reflétant ses immondes rayons joyeux sur une neige toujours plus sale, il balança sa cravate sur le canapé et enfonça ses yeux dans ses orbites, rien que pour se consolider une seule seconde dans les tréfonds de son âme. Cependant, quand il redressa son regard vers le miroir devant lequel il se tenait, il ne flanquait pas. Sa pâleur extrême soulignée par ses cernes tatoués à même ses yeux ne le faisait même plus sourciller. Moins encore le peu de cheveux qui repoussaient déjà sur sa tête ou encore ses pommettes creusées.

Il n'était pas à plaindre. Il tenait encore debout sur ses deux jambes. Enfin... Il essayait. 

Dans un petit soupir, Shayne se détourna et porta la pulpe de son index sur son œil invalide, griffant nerveusement les rebords cicatrisés au gré de son cheminement à travers le salon. 

L'ironie de la journée voulait qu'il fasse beau. Mais le macabre se dessinait dans tous ces rituels. Une grippe funèbre autour d'un cou qui n'attendait qu'à être rompu. 

Et si jusqu'à présent il arrivait plus ou moins à contenir ses émotions, lorsqu'il vit Bonnie apparaître dans le faisceau poussiéreux de lumière, habillée d'une petite robe noire, il ne put s'empêcher de s'embrumer. Ses grands yeux naïfs étaient si écarquillés qu'ils ne pouvaient contenir ses larmes. Ils dégringolaient le long de ses petites joues, sans un bruit de sanglot. Shayne s'agenouilla difficilement en face d'elle et pressa son front contre le sien.

- Hey, hey, Bonnie...

- Je n'aime pas le noir. Je ne veux pas mettre cette robe. Pourquoi est-ce qu'il le faut ? 

- Parce qu'aujourd'hui on est tristes.

- Je ne veux pas être triste. Je ne veux pas que ma maman soit triste.

Elle enroula ses petits bras autour de son cou et Shayne la souleva afin de la serrer dans ses bras. Il se força à ne pas lui répondre en enfonçant furieusement ses dents dans le bout de sa langue. Parce que comment expliquer à sa nièce que sa vie ne sera embrumée que de drames et de cris jusqu'à la fin de ses jours si comptés ? Comment la préparer à de telles catastrophes alors qu'elle devrait normalement apprendre à compter et à lire devant des stupides dessins animés trop colorés à la télévision ? À la place, il revoyait son enfance. Celle passée devant les barricades, orphelin d'amour et de famille. Une période qu'il avait cru être la plus sombre de son entière existence...