chapitre 57 : reste auprès de moi pour toujours

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GRACE

Une pièce blanche. Un lit blanc. Un plafond blanc. Pas de draps. Juste un matelas, bien sûr... blanc. Pas de fenêtres. Une porte solidifiée et une multitude de néons aveuglants. Hormis tout ça, il n'y avait que Grace et le silence. Le pire, c'était la notion qu'elle perdait petit à petit. Elle ne savait pas si cela faisait deux jours qu'ils avaient commencé la torture ou trois semaines. Quand ce poison était injecté dans ses veines, il n'y avait que l'éternité.

Les autres ?

Elle ne les avait pas revus depuis la bataille de Monte Cassino, mais il y avait d'autres chambres dans le couloir où ils se trouvaient, donc elle savait qu'elle n'était pas seule. Assise sur le sol, habillée de sa combinaison blanche, Grace tripotait ses cheveux roux qui paraissaient comme un jet de feu dans la neige. Elle posa sa tête contre son lit et étira ses jambes devant elle. Elle devait réfléchir. Elle devait sortir de cette prison immaculée, avant qu'on ne vienne la secourir. Elle ne tenait pas à ce qu'ils meurent, eux aussi. Oui, Seth avait l'air d'un agneau égaré qui changeait de profession militaire comme d'uniformes, oui elle trouvait qu'Emily était plus une représentante de pub d'engagement militaire qu'une vraie et oui elle pensait que la relation Chelsea-Jay était de loin la plus stupide qu'elle avait vu...

Mais c'étaient ses frères d'arme, sa famille. La seule qu'elle avait à présent.

- Ce n'est pas vrai. Tu m'as moi.

Grace sursauta lorsqu'elle vit dans le coin de la pièce, une femme, le pied replié sur le mur derrière elle.

Pas n'importe quelle femme. L'amour de sa vie. Son âme sœur partie trop tôt. Eve.

Grace souffla en portant sa paire de mains à son front.

- Super... J'hallucine, maintenant.

- Ou peut-être que c'est un effet secondaire de TARK ?

- Peut-être.

Elle se frotta les yeux pour la énième fois. Qui sait, peut-être que comme ça, elle allait pouvoir la faire disparaître, mais ce ne fut pas le cas. Elle sentit même une main venir se poser sur son épaule. La sensation était réelle. Les doigts sur sa peau, la chaleur et l'assurance. C'était la seule chose qui arrivait à faire briller les yeux de Grace.

- Respire. Et réfléchis.

- À quoi ?

- Où est-ce que tu es ?

- J'en ai aucune foutue idée...

- Respire.

Même les mots étaient nets. Précis. Sans aucun écho. Alors comment pouvait-elle possiblement rester calmer ? Ou respirer en général ? Ses poumons étaient totalement bloqués. Écrasés par le poids du chagrin, par la réalité et les limbes qui se muaient l'un dans l'autre, tel le Yin et le Yang. Sauf qu'il n'y avait plus que l'obscurité enivrante. C'était pour cette raison précise que Grace refusait d'ouvrir les yeux.

- Où est-ce que tu es ?

- Dans un foutu cube blanc ?

- Où est-ce que tu es ?

- Mais je n'en sais rien !

- Respire et réfléchis. Où est-ce que tu es ?

Ayant marre de la même chose répétée encore, encore et encore, la sergente déchue se redressa.

- Juste laisse-moi tranquille ! Reste-là ! Reste comme tu es ! Partie ! Tu l'as fait une première fois, définitivement, alors tu n'as pas le droit de juste... Le droit, de revenir !

Sa voix déchirée retentit contre les murs trop blancs de la pièce. C'était comme un écho. Une voix, une douleur qui restera enfermée avec elle. Même si elle le voulait, elle n'allait pas pouvoir s'en échapper. Grace s'appuya contre le mur et se laissa doucement glisser tout le long. Elle était tellement appuyée, que la paroi grue lui érafla le dos. Mais si elle pouvait faire disparaître le spectre d'Eve en s'arrachant quelques vertèbres, ce serait avec plaisir. Sauf qu'à nouveau, une main vint se poser sur son genou. Elle avait aimé cette femme plus que tout. Plus que sa famille qui l'avait déshéritée et mise à la rue, plus qu'une vie stable avec un chien dans le jardin et les brunchs en famille un dimanche matin.

Plus que la vie elle-même, parfois.

Et pourtant, la maladie l'avait arraché, et avec elle, un bout de son âme. Son toucher, son odeur, son visage, toutes ces choses qui faisaient vitaliser sa souffrance. Raviver le trou béant que sa mort avait laissé... Elle n'en avait pas besoin. Ces injections de TARK la laissaient la forces, sans puissance, morte sur le banc du Styx, sans pour autant que Charon décide de la prendre. Alors elle n'avait plus rien pour se protéger contre ça, contre sa douce et merveilleuse Eve.

- Tu dois sortir d'ici. Ce n'est pas encore ton temps de venir me rejoindre... Tu le sais.

- Le monde est en train de s'écrouler, alors pourquoi je devrais encore me battre ?

Des mains chaleureuses vinrent relever ses joues de ses genoux et Grace bava enfin le regard d'Eve. Des iris pétillants d'amour, comme au premier jour de leur rencontre. Alors ceux de la militaire déchue s'embuèrent à nouveau de larmes. Ce maudit bunker immaculé où elle était enfermée, allait être son tombeau.

- Tu ne peux pas mourir. Trop dépend de toi. Des personnes. Tes frères.

- Pourquoi j'en aurai quelque chose à faire si je ne t'ai plus, toi ?

- Parce qu'ils t'ont, toi. La vie m'a prise... Et oui, le monde s'écroule. Mais il restera magnifique jusqu'au bout. Et tu as la chance de le vivre. Mais pour ça, il faut que tu sortes d'ici. Alors respire... Et réfléchis.

Grace s'exécuta en collant son front contre le sien. C'était comme un électrochoc. Un flot de vie. Un flot d'amour. Et comme une révélation, les neurones de son cerveau se remirent en route, même si la plupart étaient complètement grillées à cause de TARK.

- Où est-ce que tu es ?

- Pas de fenêtres. Pas de baies. Les murs sont trop épais et les plafonds renforcés... On est sous terre.

- Bien.

- Certains des gardiens portent des gros uniformes. Des bottines renforcées... Il n'y a que trois changements de tour de garde et ce sont toujours les mêmes visages... On est quelque part où il fait froid et difficile d'accès. On est donc loin de la surface et... En montage ?

Un magnifique sourire vint illuminer le visage d'Eve.

- Il faut que tu sortes d'ici, Grace. Vis... Pour moi. Tu me le promets ?

- Oui.

Souffla Grace dans la seconde. Et en un clignement de paupières... Eve avait disparu.

La militaire se releva du sol et se rapprocha de la porte puissamment fermée. Elle posa ses mains sur la surface gelée et rigide et souffla pour se débarrasser du poids qui lui écrasait ses poumons. La force de l'amour... Sera-t-elle plus forte que les tonnes d'acier qui la séparait de l'extérieur ? Et de la liberté ?

One Last Mission T05 ~The Wars We Fight For| ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant