chapitre 71.2 : Dieu

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NASHVILLE

Il faisait nuit, quand Nash sortit du commissariat. Une nuit noire, qui semblait être tombée sur la capitale Texane comme une plaie. La neige tombait en fins flocons sur ses cheveux pendants de son front et le froid l'envahissait alors qu'il ne s'était même pas encore habillé de sa veste.

Il ne pensait à rien de tout ça, cependant. Il ne pensait pas à sa peau parsemée de frissons, encore moins à ce qu'on lui disait... Il ne clignait même pas des yeux.

Tout ce qui lui traversait la tête, c'était de la douleur. Fracassante, massacrante... Une douleur si aiguë, si prononcée qu'il pensait un instant que son âme avait quitté son corps. Il n'arrivait pas à croire à ce qu'il venait d'entendre. Sa vie entière venait, pour la énième fois de s'écrouler... Et il ne savait pas s'il allait s'en remettre, cette fois-ci.

Alors quoi de mieux qu'une bonne rasade d'alcool pour essayer de noyer cet interminable chagrin ?

***

Pas de taxi, pas de métro, Nash avait envie de rester dans le froid. Quitte à crever, il mourrait une bouteille de gin greffé à la main. Le jeune homme arpentait les rues de la capitale tel un fantôme. Le couvre-feu allait bientôt sonner les alarmes, mais il ne semblait pas se presser pour rentrer.

Les chars Texans roulaient à travers les voitures, comme si tout allait bien et les phares accrochés aux buildings arpentaient déjà les cieux enneigés.

Et puis... Au milieu de toute cette tumulte... Au milieu de toutes ces préparations à la guerre, de ces personnes paniqués qui s'empressaient de rentrer, comme si l'ennemi allait forcément attendre la nuit pour attaquer, il y avait ce minuscule endroit de prière... Coincé entre deux immeubles, une chapelle résistait à la fougue urbaine.

Une pancarte néon montrait le bout d'une croix, et pendant un instant, Nash ne sut vraiment si c'était plus un bar ou une chapelle... Mais non. C'était bien une maison de Dieu.

Nash s'essuya brièvement la bouche du bout de sa manche parsemé de gouttelettes de sang et plissa les yeux pour voir l'inscription qui clignotait en dessous de la demi croix :

"N'oubliez pas votre Seigneur".

– C'est plus lui qui nous a oublié...

Le jeune homme jeta un coup d'œil circulaire aux environs, mais il n'y avait plus personne. Il prit une rapide inspiration et rentra dans la chapelle en titubant. Il était complètement ivre et très franchement, il n'avait pas les idées claires.

En rentrant, il découvrit une petite pièce à peine éclairée par des bougies. En se rapprochant un peu plus, il remarqua qu'elles n'étaient même pas réelles... Elles marchaient sur batterie. Trois misérables bougies qui représentaient bien évidemment toute la foi restante dans cette ville au bord du chaos.

Mais sinon... Toujours personne.

Il n'y avait que lui et Dieu. Tant mieux. Il fallait qu'ils aient une discussion.

Nash laissa tomber sa bouteille de gin vidée qui vint rouler près de la statuette de la Vierge Marie.

Il s'avança, au milieu des deux rangées de sièges de prière et vint s'agenouiller devant la croix, si brusquement que ses genoux craquèrent sous l'éclatement contre le carrelage froid. Tant pis. Cette douleur n'était rien comparée à celle qu'il ressentait dans sa poitrine.

- Heyyyyyy, ça faisait ultra longtemps, S'gneur ! En fait... Je sais même pas si vous aviez un jour été là pour moi, d'ailleurs. Putain, j'suis sûr Vous êtes en train de rigoler...

Nash se mit à rire en basculant sa tête en arrière pour regarder les grandes fresques bibliques peintes au plafond de la chapelle. Son rire fit écho dans la pièce et ça ne fit qu'accroître sa colère.

- Bah oui, comme d'habitude en fait ! On a beau se mettre à genoux devant Vous, Vous ne répondez jamais... Vous continuez à nous ignorer, à foutre nos vies en l'air... Bah j'espère que je Vous fait bien rire ! C'est ça que Vous voulez ? Alors riez !

Toujours rien.

Nash souffla avec lourdeur sur les loques de ses cheveux sur son front et s'allongea en plein sur le dos, ses membres bien écartées comme une étoile de mer, la tête posée sur l'une des marches qui menait à l'Autel.

- Je peux Vous poser une question ?

Silence.

- Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que tout le monde me déteste à un point qu'on préfère la mort plutôt que de rester à mes côtés ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour mériter ça ? Pourquoi moi, putain... Pourquoi moi ?!

Son hurlement se mua dans un cri déchiré qui s'évanouit dans sa gorge. Un voile embrumé se forma devant ses yeux, brouillant sa vue, avant de se former en deux larmes qui s'écoulèrent sur ses deux joues. L'une d'elle vint même se glisser dans son cou, le faisant frissonner au passage.

- J'avais huit ans quand j'ai failli mourir... Pourquoi Vous avez juste pas fais le boulot jusqu'au bout ? Pourquoi est-ce que Vous m'avez laissé vivre ? Et puis après ça, encore et encore... J'ai failli crever tellement de fois, mais à chaque fois Vous me laissiez vivre... Je suis quoi pour Vous ? Votre jouet ? Pourquoi moi, alors qu'il y a tellement d'autres gens qui méritent la vie plus que moi ? Pourquoi c'est moi qui avait reçu ce rein et pas cette fille ?

Nash se tut un instant pour ne pas laisser la satisfaction au Seigneur d'entendre le déchirement dans sa voix. Oh non. Il ne lui donnera pas sa dignité, en plus du reste. Il se remit à rire en levant les bras vers le plafond pour regarder ses mains, ces mains dont la peau était rougie par le froid, abîmée par les coups qu'il avait porté... Ces mains qui avaient dû ramasser tellement de merdes dans la vie.

- Pourquoi je ne mérite pas le bonheur ? Pourquoi est-ce qu'il faut que je sois toujours détruit ?

Toutes ces questions sans réponses...

- Pourquoi vous m'avez fait vivre alors que je pouvais mourir...

Une rafale vint apporter quelques flocons de neige à l'intérieur de la chapelle silencieuse.

- Vous me répondrez jamais, pas vrai ? Vous en avez plus rien à foutre de moi ou de qui que ce soit d'autre, d'ailleurs... Je Vous comprends. On a asséché nos rivières, fait monter nos océans, rasé nos arbres... On a gâché Votre plus grand cadeau pour nous... La vie. Bah Vous savez quoi ? Vous auriez juste pas dû me la donner. Tout court. J'Vous aurai épargné pas mal de boulot. J'ai jamais voulu vivre...

Nash se redressa péniblement, en grognant sous l'effort et s'attarda un instant en serrant ses genoux contre son torse, ses yeux toujours un peu embrumés de larmes.

- Jamais.

Il se leva et d'un pas lent et irrégulier, se dirigea à nouveau vers la sortie, ramassant au passage sa bouteille qui avait déversé ses dernières gouttelettes sur le sol. Il la releva vers la croix et trinqua.

- Bonne conversation. Comme d'habitude.

Sans rajouter quelque chose, il sortit, tournant le dos à ce silence qu'il entendait depuis qu'il était venu au monde. Dans ce monde pourri dans lequel se réveiller faisait physiquement mal, où respirer était un effort... Dans ce monde trop vaste pour sa présence.

Et à peine avait-il eu le temps de poser un pied à l'extérieur de la chapelle aux insignes néons que l'alarme du couvre-feu se déclara, manquant de peu de lui vriller un tympan, au passage.

- On crèvera tous comme des rats, de t'te façon. Ça ne sert plus à rien de prier.

One Last Mission T05 ~The Wars We Fight For| ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant