Apprends-moi à t'aimer [premier jet]

Chapitre 74

Mattew ~ 6 ans plus tôt ~

En rentrant, je vois un liquide briller sur le sol, la lune s'y reflétant. Je comprends que c'est encore mon père comateux qui a renversé une bouteille. Je souffle agacé et me dirige vers la cuisine pour prendre de quoi essuyer. Je retourne à la flaque, mais en m'approchant davantage je remarque un reflet rougeâtre.

C'est quoi ça, putain ?!

Je lâche le torchon et accours vers mon père inconscient. Je constate avec effarement qu'il s'est ouvert les veines avec un morceau de verre brisé. Il n'a même pas eu la force d'aller chercher un couteau à la cuisine.

Je panique complètement. Je jure et me frappe à plusieurs reprises le front de mon poing. Mon premier réflexe est d'appeler Henzo à l'aide, mais ma conscience me dit de vérifier le pouls à son cou. Je sens de faibles battements irréguliers et compose précipitamment le numéro des urgences.

L'attente paraît interminable et quand j'ai enfin quelqu'un à l'autre bout du fil je débite des mots incompréhensibles à une vitesse folle. La femme doit me faire répéter plusieurs fois ce qu'il s'est passé avant d'envoyer les secours.

Je marche dans tous les sens en les attendant, tapant frénétiquement un message à mon meilleur ami. J'étale le sang sur le sol sans m'en rendre compte et insulte mon père pour ce qu'il a osé faire. Me faire.

Il y a une différence entre être incapable de s'occuper de son fils – et soi-même – parce qu'on a l'esprit embrumé par l'alcool et parce qu'on est juste... mort.

Comment est-ce que je peux me soucier de sa vie à ce point ? C'est déjà une loque, sa mort ne changerait rien pour moi, mis à part que je serai libre. Alors pourquoi je me sens si mal ? Je suis pathétique à m'être accroché à l'espoir qu'il change. Il vient de me prouver que c'est impossible et en quelques secondes je suis tombé dans la désillusion.

Bientôt les lumières bleues des gyrophares illuminent la rue. Je suis devenu complètement immobile, observant les secouristes sans réellement voir ce qu'il se passe. Je reste même après leur départ, ayant refusé de l'accompagner.

C'est Henzo qui me tire de ma torpeur une dizaine de minutes plus tard.

- Mec ça va ?

- J'en ai aucune idée.

- Viens on va chez moi, mes parents sont ok.

Je ne lui réponds pas. Encore une fois je me transforme en poids pour les seules personnes qui s'intéressent à moi.

Je le suis de manière mécanique, préparant un sac de vêtements propres et d'affaires de toilette. Je me baisse et récupère une bouteille sous mon lit. Je vais en avoir besoin pour annihiler tout ça.

- T'es sûr pour la vodka ? Je veux dire avec ce qu'il vient d'arriver.

Je réalise alors qu'il a raison. Je ne peux pas faire ça, boire comme un trou jusqu'à en oublier mon nom. Je ne peux pas devenir comme lui, je ne le veux pas. Je ne dois pas reproduire les mêmes erreurs que lui.

Je balance la bouteille sur le mur le plus proche en hurlant, libérant la rage de vivre qui m'habite. Henzo me regarde sans rien dire. Il fait toujours ça, il ne juge pas et se contente de m'aider à me retrouver. Retrouver le vrai Mattew Bargens.

~.~.~

L'hôpital m'a appelé et me demande de venir. Je ne sais pas ce qu'ils me veulent, mais si je ne suis sciemment pas venu le voir ce n'est pas pour rien.

J'y vais donc à reculons, Henzo me tirant.

C'est grisant de ne plus avoir de substances indésirables dans mes veines. Je ressens les choses différemment. Je vois la vie comme elle est vraiment.