Ténèbres

39.

Mira

Je crois que je n'ai jamais été autant perdue dans ma vie. Croiser Jarod, raconter mon passé à Ezéchiel, ça fait beaucoup de choses en même pas une heure. Je ne sais pas quoi penser de notre conversation, je ne sais même pas à quoi je m'attendais. Peut-être un peu plus de compassion ou une réaction plus appuyée. Comme pour me rassurer les propos d'Ezéchiel tournent en boucle dans ma tête. Il ne me prendra pas, il ne me prendra pas, il ne peut pas me prendre. Mais malgré toute ma bonne volonté le stress qui s'est niché dans mon ventre le broie littéralement, j'ai l'impression que je vais vomir d'une seconde à l'autre.

Sans qu'il ne semble avoir remarqué mon trouble Ezéchiel me guide jusqu'au buffet et insiste lourdement pour que je mange un peu. Si ma langue s'est assez remise pour que parler ne soit plus vraiment douloureux, manger reste un peu compliqué et l'angoisse n'arrange rien. Je me force malgré tout à picorer dans les différents petits feuilletés sans même réellement savoir ce que je suis en train d'avaler. Ezéchiel s'est éloigné de quelques pas pour aller discuter avec une femme dont le charisme me semble écrasant.

Quand il se met à rire suite à je ne sais quoi une petite pointe de jalousie se fiche douloureusement dans ma poitrine. Même si je sens qu'Ezéchiel garde un œil sur moi pour me surveiller, il semble plus ouvert, plus vivant. Je ne l'avais jamais vu ainsi auparavant et cette soudaine fenêtre sur ce qu'il est réellement se referme dès qu'il se rapproche de moi. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce changement d'attitude me perturbe autant. Peut-être parce que rejeter entièrement la faute sur lui et le voir comme un monstre était plus facile mais qu'il m'est à présent plus difficile de nier qu'il est bien humain. Peu importe ses actes, il ressent lui aussi des émotions qui le poussent à agir ou non de telles manières. Et c'est cette complexité humaine qui rends mon rapport à lui si difficile. Surtout qu'effectivement il a toujours été professionnel avec moi, fidèle à son éthique aussi discutable soit elle. Tandis que je me retrouve à remettre en question mon choix de vengeance Ezéchiel glisse d'autorité une coupe de champagne dans ma main et m'encourage à la boire du regard tout en me faisant signe de le suivre.

On s'écarte un peu de la foule en se rapprochant d'un coin de la pièce tandis qu'il prend la parole :

— Les transactions vont bientôt commencer, tu devras attendre avec les autres filles qu'on vous appelle une à une. Quelqu'un viendra alors vous chercher pour vous faire monter sur l'estrade là-bas.

Il me désigne le fond de la pièce de la main et j'aperçois effectivement une estrade et un petit comptoir qui n'était pas là auparavant. Il jette sur moi un regard quelque peu tendu avant de reprendre :

— Il se peut qu'on ne te demande rien, dans ce cas tu dois rester immobile. Sinon tu as juste à obéir, ça n'ira pas très loin ne t'inquiète pas. Une fois les enchères finies tu retourneras avec les autres filles pour attendre la fin des transactions. Ton acquéreur te récupérera ensuite et te ramènera ici la semaine prochaine.

Je hoche la tête pour lui signifier que j'ai compris même si je sens mon corps se tétaniser sous la peur. Timidement je lui demande :

— Donc si j'ai bien compris une fois dans l'autre pièce je ne te vois plus avant une semaine ?

— C'est ça. Et n'oublie pas personne ne te touchera sans ton consentement. Ta semaine va bien se passer et changer d'air te fera du bien. Allez, on y va.

Je n'ai pas vraiment le temps de trouver quoi répondre qu'il me guide dans le couloir précédemment emprunté jusqu'à ce qu'il ouvre une porte. Une table basse proposant de stupides magazines féminins est placée au centre tout en étant entourée par trois larges canapés. Deux filles sont déjà assises sur l'un d'eux. Ezéchiel me fait signe de rentrer avant de refermer la porte derrière moi sans m'adresser un mot de plus, ni même un regard.