Ténèbres

46.

Mira

L'homme aux cheveux poivre et sel qui me fait face semble être entre deux âges, il paraît sympathique au premier abord mais son regard froid m'en fait douter. Quand il s'adresse à moi sa voix est douce, posée :

— Tu sais qui je suis ?

C'est une blague ? Qu'est-ce que je suis censée répondre ? J'hésite quelques secondes avant de finir par bredouiller :

— Pas vraiment... Le patron d'Ezéchiel ? L'homme qui m'a fait enlever ?

Il esquisse un sourire qui se transforme en rire face à ma dernière question. Je sens le regard noir d'Ezéchiel dans mon dos mais qu'est-ce que j'étais censé faire sérieusement ? Cette question était tellement dissonante par rapport à la situation. Quand il a fini de rire au bout de quelques secondes il reprend :

— Tu peux m'appeler Hélios. Je suis bien le chef d'Ezéchiel mais il a décidé tout seul que ça serait toi qu'il enlèverait. Il marque une pause en me scrutant avant de reprendre, tu sais pourquoi tu es là non ?

Je hoche la tête tout en essayant de trouver comment formuler la réponse qu'Hélios semble attendre. Avec gêne je finis par baisser la tête pour lâcher dans un souffle :

— Parce que je vous appartiens et qu'Ezéchiel souhaiterait que vous me cédiez à lui.

Ma réponse à l'air de le satisfaire puisqu'il se recule dans son siège en s'étirant presque. Cependant il semble loin d'en avoir fini avec moi puisqu'il me demande :

— Et qu'est-ce que tu penses de ça ?

C'est une blague ? Pourquoi j'ai autant stressé pour ça ? Que j'appartienne à l'un ou à l'autre ça ne me rends pas libre, ça n'effacera pas ce qu'il s'est passé. Je n'aurais juste plus à faire la putain derrière une webcam, quelle superbe avancée... Le tapotement des doigts d'Hélios contre le bois du bureau me ramène cependant à la réalité. J'hésite à nouveau sur mes mots avant de répondre :

— Je ne suis pas contre.

— C'est tout ?

Le regard d'Ezéchiel dans mon dos devient brûlant. Mais qu'est-ce que je suis censée ajouter de plus ?

— Je crois... Je ne sais pas quoi dire. Ça ne me rendra pas ma liberté. Mais je veux bien lui laisser l'opportunité de réparer ce qu'Ezéchiel considère lui-même comme une erreur...

— Tu penses retrouver ce que tu appelles ta liberté un jour ?

— Aucune idée, sans doute pas.

— Et toi Ezéchiel, qu'est-ce que tu en penses ? Tu comptes la garder enfermée à tout jamais ?

— Non, le moment finira bien par venir.

Ils se lancent tous les deux un regard entendu dont la signification m'échappe. Alors que des dizaines de questions sur cette pseudo liberté naissent dans ma tête, la demande d'Hélios me glace le sang :

— Tourne toi et montre-moi l'état de ton dos Mira.

Je me tourne lentement et pose mes mains sur le bord de mon haut mais me retrouve incapable de poursuivre mon geste. Je redresse timidement la tête et croise le regard encourageant d'Ezéchiel. Devant mon incapacité à dévoiler mes blessures il finit par se rapprocher de moi et me déshabille avec précaution. Tétanisée et immobile comme une poupée je le laisse exposer mon dos sous la lumière blafarde des néons. Avant qu'il ne s'éloigne à nouveau j'attrape sa main pour la serrer avec reconnaissance tandis qu'Hélios se racle la gorge, l'air gêné.