Ténèbres

47.

Ezéchiel

L'attraction que je ressentais pour Mira était en train de me faire perdre pied. Je m'étais attendu à une multitude de questions de sa part mais elle a préféré rester silencieuse, le regard perdu vers le paysage défilant à toute vitesse. Est-ce que j'ai fait le bon choix ? Cette question me torture et je n'ose même pas réfléchir à ce que je vais faire d'elle à présent qu'elle m'appartient. Je lui ai promis que je ne la ferais pas travailler et je compte bien respecter ma promesse mais je ne peux pas non plus la laisser là sans rien faire, impossible de la garder prisonnière peu importe le confort que peut lui offrir mon domicile.

Malgré toutes ces inquiétudes une part de moi est profondément soulagé, elle est à moi, rien qu'à moi, Hélios a accepté de me la laisser sans contrepartie. Je m'attendais à ce que ce soit complexe, que je doive argumenter, justifier, qu'il joue sur mes émotions et mes sentiments mais il n'en a, par chance, rien fait. Je n'arrive d'ailleurs pas à comprendre pourquoi cela a été si simple, mais peu importe, je me sens beaucoup trop heureux pour réellement m'en inquiéter.

Mon regard s'égare régulièrement vers Mira qui a fini par s'assoupir la tête dodelinant contre la vitre de la voiture. Je crois qu'en cet instant je ne me suis jamais senti aussi complet dans ma vie. Le bruit qu'elle fait en s'étirant presque une heure plus tard suffit à ce que mon regard se concentre sur le rétroviseur intérieur et immédiatement je sens quelque chose se liquéfier en moi. Bordel, est-ce que je suis vraiment en train de ressentir quelque chose pour cette fille ? En lui offrant cette semi-liberté j'ai la sensation désagréable d'avoir mit le doigt dans un engrenage où je ne maitrise rien. La douce voix de Mira me tire cependant de mes réflexions :

— On est encore loin ?

— Non plus vraiment, encore deux ou trois heures. Mais je peux faire une pause à la prochaine station-service si tu veux.

Elle semble hésiter quelques secondes avant de hocher la tête et de reprendre avec une nouvelle question :

— C'est comment chez toi ?

— Un peu comme là où l'on était, en plus grand et avec un jardin. Sans porte à code aussi.

— Tu n'as pas peur ?

Comme si elle avait surpris mon regard dubitatif elle s'empresse de préciser :

— Que je m'enfuie ou que des gens posent des questions, genre ton voisinage.

Je retiens avec peine un petit rire avant de lui expliquer :

— C'est une petite ville, tout le monde connait tout le monde, tout le monde sait qu'il vaut mieux ne pas me contrarier. Personne ne t'aidera si tu tente quelque chose et je pense que tu te souviens de ce qu'il se passe si tu essaie de t'enfuir.

Elle mordille sa lèvre inférieure quelques secondes comme si elle réfléchissait avant de lâcher :

— Rien ne change en fait.

Elle se fout de moi là ? Malgré moi je serre le volant un peu plus fort avant de lui répondre d'une voix froide :

— C'est vraiment ce que tu penses ?

— C'est juste une prison différente mais ça reste une prison Ezéchiel, rien ne change pour moi. Que j'appartienne à toi ou à Hélios quelle importance...

— Tu ne vois vraiment pas la différence ?

— C'est pas ça le problème en fait, c'est toi le soucis. Je n'arrive pas à te faire confiance, tu as dit trop de chose que tu n'as pas fait, j'ai envie de te croire mais je n'y arrive plus.