Ténèbres

53.

Ezéchiel

La sonnerie de mon portable me tire de ma torpeur, tandis que l'écran s'allume pour afficher un simple sms :

"Elle veut rentrer."

Difficile de faire plus concis de la part de John mais au moins la petite promenade que j'avais prévue pour Mira a eu l'effet escompté. Lorsqu'ils arrivent le lendemain matin une certaine impatience chatouille mon ventre, la dernière fois que j'ai éloigné Mira les choses se sont très mal passées donc j'ai particulièrement hâte de la retrouver.

Pourtant l'enthousiasme de Mira suffit à doucher mon excitation, ses petits yeux sont éteints et son esprit semble à des années lumières de nous. Face à mon regard interrogateur John se contente de hausser les épaules.

— Elle est comme ça depuis son réveil.

Je remercie mon ami qui s'esquive rapidement pour retourner travailler avant de faire le tour de la maison à la recherche de Mira. Je la trouve finalement dans sa chambre, elle s'est assise sur le lit et fixe le vide d'un air absent. Inquiet je viens m'installer à côté d'elle pour lui demander :

— Tout va bien ?

Ma question reste en suspend de longues secondes jusqu'à ce que Mira finisse par s'ébrouer et hocher la tête. Moyennement convaincu j'insiste tout de même :

— Je ne te crois pas vraiment. Parle-moi s'il te plaît...

Malgré moi ma voix se fait pressante, implorante. Je n'aime pas la voir aussi perdue et je ferais de mon mieux pour qu'elle aille mieux. Elle se tourne vers moi et me fixe longuement avant de murmurer :

— Alors c'est ça ma vie ? Être avec toi et devoir t'obéir constamment ou aller faire la pute en étant défoncé ? De toute façon ça arrivera bien le jour où tu finiras par te lasser de moi non ? À moins que tu aies gardé une balle pour moi ?

J'aimerais lui offrir mieux mais malgré tout elle a raison dans les grandes lignes si bien que je me contente de rester silencieux. Je prends malgré tout le risque de lever l'un de mes bras pour l'attirer contre moi. Elle se laisse faire comme une poupée de chiffon et l'on reste ainsi immobiles, l'un contre l'autre, durant de longues minutes. D'un souffle Mira fini cependant par demander :

— Le jour venu, tu pourras faire ça rapidement ?

Il me faut de longues secondes pour comprendre sa question et le cœur au bord des lèvres je me contente de lui répondre d'un signe de tête. Bordel que c'est lugubre. Je cherche en vain quelque chose à dire qui pourrait changer cette atmosphère étouffante quand j'avise la peluche que John lui a offerte, avec hésitation je lui demande :

— Tu lui as trouvé un nom ?

Elle m'adresse un regard incrédule avant de comprendre et de hausser les épaules, malgré tout elle me répond :

— Non pas encore. Merci d'ailleurs, de m'avoir laissé garder mon nom, c'est la seule chose qu'il me reste...

Sa voix est un souffle étranglé comme si elle allait fondre en larmes pourtant il n'en est rien. Le silence retombe, à ma surprise Mira se serre un peu plus fort contre moi. Au bout de quelques instants sa respiration est tellement imperceptible que je crois qu'elle s'est endormie pourtant il n'en est rien. Je l'entends prendre une soudaine inspiration et me demander timidement :

— Tu pourrais m'aider ?

— Bien sûr, qu'est-ce que tu voudrais ?

— Toi.

— Moi ? Dis-je en répétant sans comprendre.

— Je me sens tellement vide, tellement inhumaine, rend moi vivante pendant quelques instants s'il te plaît.