Ténèbres

34.

Ezéchiel

Sans un mot je laisse Mira terminer son repas tout en la regardant à la dérobée. Je suis toujours autant furieux mais je me dois d'accomplir mon rôle. Je ne peux pas vraiment la laisser bouder dans sa chambre, elle a largement passé l'âge d'agir ainsi. Quand Mira finit par reposer le verre sur la table de nuit elle me lance ensuite un regard interrogateur, son corps tendu me démontre cependant qu'elle est elle aussi toujours en colère et qu'elle doit sans doute m'en vouloir en plus. Malgré tout je me gratte la gorge avant de lui expliquer :

— Peut-être que c'est juste de la pitié ou peut-être que c'est plus compliqué que ça. Mais dans tous les cas je m'en fous d'être un héros Mira. M'occuper de toi, m'assurer que tu sois bien c'est juste mon taf.

J'ai à peine le temps de déverrouiller la tablette que Mira me l'a déjà saisi des mains ce qui lui vaut un nouveau regard noir de ma part. Malgré tout elle tape avec empressement sur l'écran jusqu'à me faire lire :

— Alors tu peux partir. J'ai dîné et je vais dormir c'est bon tu as fini ton travail pour aujourd'hui.

— Tu as oublié que je devais dormir avec toi ?

Elle me lance un regard surpris tout en ouvrant la bouche tandis que j'esquisse un sourire, impossible qu'elle se débarrasse de moi si facilement. Mira fini par hausser les épaules avant de taper un nouveau message :

— Je vais prendre une douche, je dormirais après.

Et avant que j'aie le temps de dire quoique ce soit elle s'est glissée dans la salle de bain. Comme elle peut me fatiguer parfois, un instant elle est tellement vulnérable que j'aimerais la sortir de là avant qu'elle ne se brise et un instant plus tard elle agit comme une petite peste qui se fout des conséquences. Malgré tous ces propos ne sont pas si éloignés de la réalité, j'ai de la peine pour elle et le dire ouvertement était sans doute maladroit. Quant au fait de jouer au héros, non ce n'est pas mon style, enfin... Je ne peux pas la sortir de tout ça mais je peux au moins faire en sorte que ça soit supportable pour elle comme je le fais pour chaque fille qui travaille avec nous. Enfin concernant le fait que je ne puisse pas faire mieux que John il faudrait encore qu'elle me lance une chance pour que je puisse démonter son affirmation.

Perdu dans mes pensées je prends soudainement conscience que Mira est parti depuis un long moment maintenant et seul le bruit de l'eau qui coule trouble le silence. Ma colère cède instantanément la place à une pointe d'inquiétude qui se fiche dans mon ventre. Je frappe contre la porte tout en l'appelant à plusieurs reprises mais aucune réaction ne se fait entendre de l'autre côté, juste l'eau qui s'écoule inlassablement. Je me résigne alors à ouvrir timidement la porte et bénit au passage l'absence de verrou. J'aperçois alors Mira assise dans le bac de douche, le dos contre le mur et les jambes ramenées contre sa poitrine. Je l'appelle à nouveau mais sa tête qui repose contre ses genoux ne bouge pas et ses yeux restent obstinément fermés.

L'angoisse grandit en moi tandis que je pénètre dans la pièce pour ouvrir la porte de la cabine de douche, l'eau qui tombait du pommeau fixe m'éclabousse largement tout en me figeant sur place. Bordel c'est glacial. Je tends le bras pour couper l'eau tandis que le froid entraîne instantanément une sensation de brûlure qui manque de me couper le souffle. Je m'agenouille ensuite pour être à la hauteur de Mira avant de soulever délicatement sa tête. Ce simple geste lui fait ouvrir légèrement les yeux tandis que je pousse un soupir de soulagement, au moins elle est consciente.

Je déplie doucement ses jambes pour la traîner hors de la douche avant d'enfin pouvoir envelopper son corps dans une serviette et la déposer contre le lit. Je la frotte avec vigueur en ignorant mes vêtements trempés. Mira se laisse faire comme une poupée désarticulée tandis que je continue mes efforts jusqu'à ce que sa peau cesse d'être froide au toucher et que son visage retrouve quelques couleurs. A cet instant je m'accorde une petite pause pour retirer mes fringues trempées avant d'attraper de nouvelles serviettes pour continuer de frictionner Mira. Peu à peu ses yeux finissent par s'ouvrir et cesser de cligner, elle remue ses membres un à un comme si elle reprenait possession de son corps. Je lui demande alors doucement :