Ténèbres

6.

Ezéchiel

Je fais doucement tourner le liquide dans mon verre tout en regardant la foule en contrebas. La journée a été longue et j'ai plutôt hâte de finir, John assit à côté de moi semble indifférent à mon impatience et est en train de jouer sur son téléphone.

— Bon, ils vont finir par se pointer ou quoi ?

— Relax, me lâche John en levant les yeux de son écran, profite de ton verre ils ne devraient plus tard. On peut bosser si vraiment tu t'ennuies ?

Mais il est sérieux ? Je suis déjà là pour ça et j'ai passé à ma journée à ça. Je me contente de soupirer en guise de réponse. J'ai accompagné Maria à la gare, le site est enfin est en ligne et on a fini la dernière cession de recrutement, enfin à une candidate prête, mais c'est déjà pas mal en une journée. Je repasse mentalement en revue les différentes candidates, le but étant d'avoir un bon panel de diversités tout en évitant les problèmes, chose jamais aisée... La vibration des escaliers qui mènent au coin VIP du Mirror fini par me sortir de ma réflexion. Quand le couple arrive à notre hauteur je me contente de demander :

— Vous proposez qui cette fois ?

— Elle, dit l'homme tout en pointant du doigt une fille dans la foule de danseurs, elle devrait faire l'affaire.

— Devrait seulement ?

J'arque un sourcil tout en me penchant légèrement pour l'examiner plus en détail malgré la pénombre. Un silence répond à mon interrogation tandis que je la scrute avec John avant d'échanger un regard avec lui. Il semble partager mes craintes, si bien que je soupire :

— J'ai attendu quasiment une heure pour ça ?

— Arrête elle fait parfaitement l'affaire, rétorque la femme, elle est mignonne et elle sait tenir une conversation, tu veux quoi de plus ?!

Il n'y aurait que moi je partirai en mettant fin à ce partenariat stupide, mais plus je vois John la fixer plus je sens qu'il est en train de changer d'avis, il ne manquerait plus qu'il craque sur elle. Je me retiens de lever les yeux au ciel avant de demander à mon associé s'il a quelque chose à ajouter.

— Elle est plutôt banale...

— Mais arrêtez c'est que vous voulez, soupire l'homme. Elle fait le taf et en prime elle à l'air seule et paumée, me dites pas que ça vous facilite pas le travail.

Impossible de lui donner tord là-dessus, je ne suis toujours pas convaincue mais je suis forcé de reconnaître qu'ils ont accompli leur part de travail. Je fouille dans la poche intérieure de ma veste pour en sortir une petite enveloppe de cash qui change rapidement de main avant que le couple parte sans demander son reste. Je remplis mon verre avec la bouteille de whisky qui était restée sur la table avant de dire :

— J'le sens pas ce coup-là, mais toi honnêtement t'en penses quoi ? On devrait la prendre ?

John s'accoude à la rambarde et observe les danseurs avant de hausser les épaules.

— Pourquoi pas... Elle a l'air d'être une candidate facile donc on ne prend pas trop de risques. Dans le meilleur des cas elle partira avec les deux tiers dans deux semaines, dans le pire elle compensera une perte.

— Effectivement vu comme ça...

— T'as plus qu'à les rappeler puisque tu les as fait flipper, me répond John en se marrant.

Ok, j'ai peut-être pas été cool, mais c'est la seconde fois qu'ils nous font une offre décevante, c'est pas la peine de compter sur moi pour un troisième plan aussi naze. Je me résigne cependant à passer un rapide appel et le couple nous rejoint quelques minutes tard en prenant cette fois la peine de s'installer sur la banquette face à nous. Je prends une gorgée dans mon verre tout en les fixant, ce n'est que lorsqu'ils s'enfoncent un peu plus dans le siège que je me décide à rompre le silence.

— Partagez tout ce que vous savez sur elle.

Ils se regardent un peu mal à l'aise comme s'ils n'avaient aucunes infos à me donner, l'homme finit cependant par consulter un des blocs-notes présents sur son portable.

— Elle s'appelle Mira et elle à vingt-cinq ans. Elle nous à dit qu'elle était seule, genre pas de potes ni de famille proche. Je ne sais pas trop ce qu'elle a pu faire avant, quand on l'a interrogé dessus on a juste pu savoir qu'elle avait besoin de passer à autre chose. Ça fait même pas deux jours que je la connais j'ai pas...

— Ok, dis-je en le coupant, on va se débrouiller avec ça. Le bateau repart demain matin c'est ça ?

— Ouais, répond la fille. Soit vous le faites cette nuit sinon il faudra attendre la prochaine escale.

— Où et quand ?

— Après demain à Barcelone.

Je consulte John d'un regard pour m'assurer qu'il me suit avant de répondre :

— On va attendre dans ce cas, je vous contacterai pour fixer les détails. Et faites mieux la prochaine fois sinon c'est fini.

— N'oubliez pas ça, dit John en sortant d'une de ses poches un petit sachet de poudre blanche. Faites comme d'habitude et tout se passera bien.

Le couple hoche la tête avant de nous souhaiter une bonne soirée et de se retirer.

— C'est bien Barcelone, j'ai de bons contacts là-bas, ça sera facile t'inquiète Ez.

— Je sais pas, je crois que c'est pas la fille mais eux que je sens pas. Genre le petit couple mignon qui se fait du fric comme ça, j'sais pas c'est bizarre.

— Les dernières fois se sont plutôt bien passées, tu devrais pas autant te prendre la tête.

J'imagine qu'il a raison et que je réfléchis trop, après tout recruter des gens est censé être un taf à part entière. Alors qu'on quitte le club une patrouille de police ainsi que des pompiers font leur entrée. Je ne peux m'empêcher de trouver ça surprenant, le club était pas calme, pas de bagarre, pas d'appel au secours déchirants. A défaut d'étancher ma curiosité je suis au moins certain que c'était le bon moment pour partir.