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Mira

Après avoir erré de longues heures dans les couloirs du navire, la journée a fini par s'achever et m'offrir une nuit de sommeil paisible. Je n'ai revu personne que ce soit Angelo, Stan ou même Véga et si une part de moi est soulagée, l'autre moitié qui est dévorée par l'ennui s'en plaindrai presque.

Après avoir pris mon petit-déjeuner seule et alors que j'ai rejoint le pont pour m'accouder contre le bastingage la voix de Stan me tire de ma contemplation de l'océan :

—Tu réfléchis à l'éventualité de sauter ?

Je secoue la tête pour sortir de ma rêverie avant de me tourner vers lui en arquant un sourcil face à sa question.

— On m'a toujours dit que la noyade était l'une des pires manières de mourir donc non.

— Dommage petite chienne.

Encore ce surnom railleur, pourtant la voix de Stan semble quelque peu plus chaleureuse la veille, comme s'il était presque affectueux. J'hésite quelques secondes à répliquer avant de finalement platement lui demander :

— Pourquoi ?

— Ça aurait été une excellente raison de te traiter pour ce que tu es réellement.

Comment j'ai pu trouver ce crétin chaleureux quelques secondes plus tôt. Je retiens avec peine l'envie presque irrésistible de l'insulter qui grandit en moi et préfère lui demander en souriant :

—Tu voulais quelque chose ?

— Oui. Angelo veut te voir, suit moi. Et ne traîne pas au risque de te perdre.

Alors que je m'attendais à ce qu'il se mette en route il se rapproche de moi et poursuit d'une voix suave :

— Si ça arrivait je devrais te trouver un joli collier et une laisse...

Un frisson de dégoût parcourt mon corps tandis qu'il tourne les talons sans me laisser le temps de réagir. Je me retrouve alors à devoir trottiner pour rattraper mes quelques secondes de retard. Après quelques minutes de marche on finit par s'arrêter devant une porte contre laquelle Stan donne un petit coup avant de l'ouvrir. Je rentre à sa suite et découvre un petit bureau sobrement meublé, Angelo est assis derrière, en train de taper sur le clavier de son ordinateur d'un air concentré si bien qu'il ne relève même pas les yeux de son écran.

— Assied toi et attends, me lâche Stan.

Alors que j'allais tirer l'un des sièges qui fait face au bureau pour m'installer, Stan émet un claquement de langue désapprobateur.

— Je ne crois pas que les petites chiennes s'assoient ainsi. Soit Jarod et Ezéchiel ont perdus la main, soit tu as besoin qu'on te rafraîchisse la mémoire. Dans tous les cas c'est décevant.

Je déglutis difficilement tout en lançant un coup d'œil à Angelo en quête une potentielle aide. Pourtant face à son impassibilité je me résous à adopter l'attitude réclamé par Stan. Je pose mes genoux contre le métal froid du sol tout en écartant légèrement mes cuisses et en croissant mes mains dans mon dos.

— C'est tout ? Reprends Stan.

Les yeux rivés au sol il me faut quelques secondes pour que je comprenne ce qu'il attend. Sans redresser la tête je murmure timidement :

— Je n'avais pas compris vos attentes, veuillez m'en excuser monsieur.

— Fait en sorte que ça ne se reproduise plus.

Je hoche la tête avant de redevenir immobile tandis que Stan quitte la pièce en claquant la porte. Angelo semble lui toujours autant absorbé par son ordinateur au point que j'en viens à penser qu'il a fini par oublier ma présence.

Les aspérités antidérapantes du sol me font de plus en plus mal à force de rentrer dans ma chair et je mobilise toutes mes forces pour ne pas me tortiller à la recherche d'une position plus confortable. C'est à ce moment-là qu'Angelo lève les yeux vers moi et me remercie pour l'attente. Sans me laisser le temps de lui répondre il poursuit en me demandant :

— Dis-moi Mira, tu t'y connais en séduction ?

Je le regarde perplexe sans être vraiment certaine de comprendre sa question. Je me risque cependant à répondre :

— Pas vraiment je crois, pourquoi ?

Angelo me lance un long regard dubitatif avant de pousser un soupir et de m'expliquer :

— J'avais pensé à quelque chose, il hésite quelques secondes pendant lesquelles il passe ses mains sur son visage avant de reprendre, voit-tu j'aime bien Véga. Beaucoup même. Et sa situation présente de nombreux avantages pour moi...

Je profite qu'il ait laissé ses derniers mots en suspens pour reprendre timidement :

— Je crois que je vois. Tu veux préserver tes intérêts en la faisant tomber amoureuse de toi ?

— Je savais bien que tu étais maligne, me dit-il en souriant, c'est grossièrement résumé mais c'est ça.

— Et quelle est ma place dans tout ça ? Enfin j'imagine que tu m'en parle pour une bonne raison non ?

— Honnêtement ? Je ne sais pas encore. Tu pourras sans doute me servir mais je n'ai pas encore décidé comment.

Je ne comprends pas grand-chose au caractère lunatique d'Angelo, d'abord il n'a pas le temps, puis il me fait venir pour m'ignorer avant au final de me confier ses plans pour rien ? C'est tellement incompréhensible et étrange comme attitude. Je me risque cependant à lui demander :

— Je peux me permettre une remarque ?

— Vas-y.

— Ce genre de plan, jouer avec les sentiments des gens ça fini jamais bien. Je ne te connais pas, pas plus que Véga mais je ne vois pas pourquoi ça sera différent pour vous.

Angelo retient un petit rire avant de me congédier d'un geste de la main. Sans me formaliser sur son attitude et en essayant de dissimuler la douleur provoquer par l'afflux sanguin dans mes jambes je me redresse pour quitter la pièce. Au moment de refermer la porte il me semble entendre Angelo murmurer un :

— On verra bien.

Je ne sais pas si je m'attendais à un changement quelconque mais il ne s'est en tout cas rien produit. Le reste de la journée a été aussi solitaire et ennuyant que la veille. Ce n'est que le lendemain midi que Véga me rejoint alors que je prenais mon déjeuner. Elle s'empresse de me saluer en étant toujours d'aussi bonne humeur que lors de notre dernière rencontre. Véga prend le temps de se servir à manger avant de venir s'installer face à moi.

Ça fait une éternité que je n'ai pas eu un moment aussi normal. Véga est drôle et notre conversation est agréable. Après s'être assurée que mes premiers jours sur son navire s'étaient bien déroulés, elle a entrepris de me questionner sur mes tatouages. J'ai l'impression de discuter avec une amie de longue date et je ne peux m'empêcher de me sentir en confiance avec elle.

— Il vient d'où ton bracelet ? D'un concert ?

Sa question me prend au dépourvu et pour la première fois j'entrevois la possibilité de parler ouvertement de ma situation à quelqu'un, que quelqu'un a le pouvoir de m'aider. J'hésite un peu et lui répond mal à l'aise :

— Non, c'était pour une soirée...

Je me coupe quand la porte s'ouvre et mon courage fond comme neige au soleil lorsque Stan rentre dans la pièce. Pourtant il semble avoir décidé de m'ignorer à nouveau et se contente d'adresser un signe de tête à Véga avant d'aller se servir à manger au buffet. Comme si elle avait perçu mon trouble Véga me propose en souriant :

— Passe me voir dans ma cabine ce soir, on discutera entre filles.


TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant