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Ezéchiel

En ouvrant cette foutue porte j'ai senti un truc se briser en moi. La colère m'a ensuite submergé et j'ai dû mobiliser toute mes forces pour me taire, tourner les talons et claquer la porte sans l'arracher de ses gonds. J'ai aucune envie de voir mon pote à poil et encore moins Mira aussi lascive. Je m'oblige à m'asseoir dans le fauteuil et m'allume une clope tout en tapotant le sol avec mon pied.

— C'est quoi le problème ? Demande John en me rejoignant.

Je tourne légèrement la tête, il s'est rhabillé et est seul mais la porte entrebâillée me laisse supposer que Mira nous entends parfaitement.

— Je lui avais interdit de le faire.

John ricane tout en se laissant tomber dans le canapé.

— Toi et moi on ne s'est jamais privé de baiser les meufs qui le réclamaient ou qui nous faisaient envie. Alors c'est quoi ton putain de problème ?

— Je m'en tape que tu l'aies baisé c'est pas toi le problème, c'est elle. Je le lui ai interdit, elle l'a accepté sans que j'aie à la forcer. Tout ça pour trahir sa parole ensuite, ça en dit long sur la confiance qu'on peut lui accorder...

— Ez, t'es en train de déconner.

— Ah ouais ? Explique-moi je t'en prie.

— Elle est traumatisée, elle se retrouve seule ici, tu devrais l'aider et faire ton taf mais tu passes plus de temps à la fuir qu'autre chose. Je parierais même qu'elle ne ressent strictement rien pendant ses lives. Et là pour peut-être la première fois de sa vie elle a osé faire un truc pour elle, un truc positif.

La voix de mon pote est posée, calme. Je sais au fond de moi que je devrais l'écouter, qu'il a sûrement raison mais je suis tellement furieux que je ne peux m'empêcher de répliquer :

— C'est des conneries tout ça, tu...

— Il a raison, me coupe Mira qui apparaît dans l'encadrement de la porte.

Elle se rapproche pour s'installer sur le canapé à une distance raisonnable de John, elle a retrouvé son t-shirt et sa culotte mais a abandonné la perruque et les lentilles. Je prends brusquement conscience de son air fatigué et je songe pour la première fois de ma vie que je suis peut-être en train d'agir comme un connard. Mais c'est plus fort que moi, imaginer la bite de John en train de la fourrer réduit toute pensée cohérente à néant. Alors que je m'apprêtais à reprendre la parole c'est Mira qui le fait :

— Je l'ai fait parce que j'en pouvais plus de cette situation et peut-être qu'en te provoquant il se passait enfin un truc. Je m'attendais à faire semblant comme je le fais tout le temps, parce que c'est ce qu'on attend toujours de moi. Et pour la première fois c'était différent.

Elle adresse un sourire triste à John avant de se tourner vers moi, ses yeux qui étaient auparavant brillants se ternissent et je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine tandis qu'elle poursuit :

— Alors au final je m'en fous des conséquences, tu ne pourras pas me laisser plus seule que je le suis déjà, tu ne pourras me priver plus de liberté et tu ne pourras pas non plus m'apporter une bouffe plus insipide que les plats surgelés. Juge si tu veux que je suis indigne de confiance, coupe-moi en morceaux si tu veux. Mais n'oublies pas que toi non plus tu n'as pas accompli ton taf correctement Ezéchiel. Et surtout, si je pouvais recommencer cette journée, je la recommençais de la même manière parce que pendant quelques minutes j'ai su que j'étais pas totalement morte intérieurement.

La tirade de Mira laisse place à un profond silence que personne n'ose troubler. Je jette un coup d'œil à John qui semble particulièrement fier de ce qu'il a pu lui faire ressentir tandis que Mira garde ses yeux rivés sur moi, j'y lit une détermination tranquille et c'est sans doute la première fois qu'elle semble aussi sûre d'elle. Ok, j'ai merdé, peut-être que si j'avais été plus présent, si je l'avais déjà touché ça ne serait pas arrivé. Mais quand même, elle a trahi sa parole et je ne peux pas laisser passer ça. Je masse mes tempes tout en essayant de réfléchir posément tandis qu'ils attendent tous les deux une décision de ma part.

— Ok. J'ai été négligent envers toi Mira et j'en suis désolé. Mais les règles sont les règles...

— Donc on va au hangar et tu vas me vendre ensuite ?

Sa voix dénuée de toute émotion fait naître un tel sentiment de détresse en moi que je ne songe même pas à lui en vouloir de m'avoir coupé la parole. Le regard inquiet de John rajoute un poids supplémentaire sur moi tandis que je lui réponds :

— Oui on va aller au hangar histoire que tu comprennes le poids des mots et des engagements. Mais non je ne te vendrais pas, j'ai sans doute ma part de responsabilité dans ton comportement donc on va reprendre les choses à zéro et de manière plus sérieuse ensuite.

— Tu peux aller te faire foutre pour reprendre quoique ce soit si tu oses me priver du moindre bout de mon corps.

C'est la première fois qu'elle est aussi vindicative et mon corps se crispe tandis que John lui lance un regard inquiet comme s'il avait peur qu'elle aggrave son cas.

— Je ne comptais pas te faire piocher. Tu resteras entière Mira. Je vais couper quelque chose oui mais ça va juste créer une nouvelle partie de toi.

Elle me lance un regard empli d'incompréhension tandis que John qui a lui capté de quoi je parle pousse un soupir de soulagement. Les yeux de Mira se reportent sur lui en quête d'une explication qu'il s'empresse de lui fournir.

— Il parle d'un split. La langue est composée de deux muscles qui peuvent parfaitement fonctionner de manière distincte une fois qu'une petite incision les sépare. C'est une modification corporelle assez connu, certaines filles l'ont et aucune ne la regrette.

Mira lui lance un coup d'œil intrigué et au lieu d'émettre les protestations auxquelles je m'attendais elle explique :

— Je crois avoir déjà vu ça dans des magazines de tatouages... Est-ce que ça fait mal ?

Alors que j'allais répondre par l'affirmative John me devance :

— Je suis qu'Ez serait ravi de faire ça salement mais je vais te donner de quoi ne pas avoir mal. Par contre tu auras quelques douleurs jusqu'à ce que ça cicatrise. Ta langue va gonfler, tu pourras parler difficilement et consommer seulement de la nourriture liquide jusqu'à ce que ça aille mieux.

Mira grimace à cette idée avant d'enchaîner sur une nouvelle question :

— Comment je ferais pour les lives ?

— Tu feras une pause de deux semaines, dis-je, ça nous permettra de rattraper le temps perdu. D'ailleurs on y va.

Je me lève et m'assure que Mira me suit tout en me promettant de revenir plus tard sur les déclarations de John qu'elle a confirmé. Ce n'est pas parce qu'elle ne pourra plus parler pendant quelque temps qu'elle ne pourra pas communiquer pour autant. Le trajet en voiture se fait dans un silence glacial, John a l'air de m'en vouloir tandis que Mira s'est claquemurée dans le mutisme.

TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant