Ténèbres

61.

Ezéchiel

J'hésite quelques instants avant de grogner face au regard de Mira :

— J'ai été sanctionné c'est tout.

— Comment ça ?

— Un bon passage à tabac pour le remettre dans le droit chemin lâche John l'air contrit.

Mira me regarde de la tête aux pieds à la recherche d'une éventuelle ecchymose mais en presque deux mois elles ont toutes eu le temps de disparaître. C'est aussi pour ça que j'ai attendu, je ne voulais pas qu'elle me voit dans un état si catastrophique. Je mentirais en disant que je me suis parfaitement remis, mon corps me fait encore souffrir par instant mais je suis en bonne voie pour la guérison. Timidement Mira me demande l'air inquiète :

— Ça va mieux ?

— Oui ne t'en fait pas.

— Et maintenant ? Demande John sans viser personne en particulier.

Mira sachant qu'elle n'a pas vraiment voix au chapitre reste silencieuse et se tourne vers moi.

— Je ne sais pas, peut-être prendre des vacances.

Elle me regarde avec des grands yeux ébahit tandis que John reprend :

— Je doute qu'Hélios apprécie.

— Je ne parle pas de partir définitivement, je sais que ce n'est pas possible, mais juste de s'éloigner une semaine ou deux.

Face à l'air ravi de Mira, John n'ose pas revenir à la charge et se contente de nous souhaiter bonne chance. On règle rapidement les affaires pour lesquelles il était venu et ce n'est que bien après son départ que Mira me questionne :

— Tu vas vraiment demander des vacances à Hélios ?

— Pourquoi pas ? Ça te ferait plaisir ?

— Je ne sais pas, je crois mais je stresse un peu. Si quelqu'un me reconnaît ou autre ?

— Ça n'arrivera pas et j'ai toujours tes faux papiers, tu t'inquiètes pour rien Mira.

— Et pour Hélios ?

— On va prendre un rendez-vous et on avisera avec lui.

— Ça a l'air simple à t'écouter me répond Mira avec une moue dubitative.

— Parce que ça l'est, arrête de te prendre la tête pour rien, lui dis-je en lui serrant les mains.

Je n'en suis pas totalement convaincu mais j'essaie de donner le change afin de rassurer Mira. Convaincre Hélios de prendre un rendez-vous ne fût pas aussi difficile que ce que j'avais imaginé après ma correction. Convaincre Mira de ne pas assister au rendez-vous fût par contre une autre paire de manche. Mais à force de tempêter encore et encore elle a fini par accepter de m'écouter et d'attendre tranquillement chez moi.

Les heures avant le rendez-vous s'écoulent lentement dans une angoisse étouffante tandis que ma voiture avale les kilomètres jusqu'à la station-service où l'on a rendez-vous. L'endroit est le même que lors de la rencontre entre Hélios et Mira. Le bureau est aussi petit et étouffant que dans mes souvenirs, le fait qu'Hélios soit seul ne fait qu'accroître ma nervosité. Après des salutations d'usage et que je me sois installée face à lui je prends une grande inspiration et souffle :

— J'aimerais des vacances, juste une semaine ou deux.

Hélios prend quelques secondes pour ricaner avant de se gratter le menton et de soupirer :

— Je ne sais plus quoi faire de toi Ez. Je pensais t'avoir remis dans le droit chemin mais cette fille t'en fait dévier à chaque fois. Je commence à être à court de solutions pour vous gérer tous les deux...

— Deux semaines de pause et je reprends mon travail de superviseur, sans faire de nouvelles erreurs.

J'essaie de me montrer inflexible mais soutenir le regard dur et froid d'Hélios est particulièrement éprouvant.

— Et qu'est-ce que tu réclameras après ça si j'ai le malheur d'accepter ?

— Je ne désire que deux choses, pouvoir continuer d'assurer mon travail et m'occuper de Mira.

— Tu penses que c'est compatible ? Vraiment ?

La vérité c'est que je n'en ai aucune idée mais après le cauchemar que j'ai fait vivre à Mira elle mérite bien que je me batte pour elle, pour qu'on ait au moins une chance. C'est ainsi que je réponds :

— Honnêtement ? Je ne sais pas, mais elle mérite que j'essaie.

— Et toi tu le mérite ?

— J'ai donné quasiment toute ma vie pour la famille... Cette pause c'est l'occasion de me ressaisir pour que je puisse poursuivre mon travail.

Le regard d'Hélios se radoucit un peu et je sens qu'il est sur le point de céder. J'hésite longuement avant d'abattre ma dernière carte, avec une pointe de regret dans la voix :

— Si je n'y parviens pas tu pourras toujours la tuer pour que je passe à autre chose.

— C'est comme ça que tu l'aime ? Au point d'engager sa vie plutôt que la tienne ?

— Parce que la mienne n'a pas d'importance, on ne quitte pas la famille.

— C'est bon arrête toi là avant de m'émouvoir, lâche Hélios. Je vais te donner tes deux semaines de vacances. Soit irréprochable ensuite sinon je ramènerais ta chérie dans les Balkans.

À cette menace à peine voilée, j'avale difficilement ma salive mais je prends tout de même la peine de le remercier. Ce n'est qu'en me retirant que je pousse un soupir de soulagement. J'ai réussi, le bonheur déferle sur moi en une immense vague et je n'ai plus qu'une hâte, celle de rentrer et annoncer la bonne nouvelle à Mira.

Quand je la rejoints son regard anxieux me fait esquisser un sourire, elle était au moins voire plus stressée que moi par ce rendez-vous. Malgré l'heure tardive je m'installe avec elle dans le canapé du salon et lui annonce en souriant :

— Il a accepté.

— Pour de vrai ?

— Oui, promis. On a deux semaine rien que pour nous.

— Donc on part en vacances ?

J'hoche la tête sous le regard incrédule de Mira qui lorsqu'elle réalise pleinement se jette dans mes bras. Je l'étreins avec plaisir tout en cherchant ses lèvres pour les couvrir de légers baisers. Je barricade mes craintes concernant la menace d'Hélios au plus profond de mon cœur, et je prie tous les dieux possible pour que cela ne se reproduise plus jamais. Hors de questions que j'en parle à Mira ou qu'elle l'apprenne un jour, cela ne ferait que l'inquiéter pour rien. Mon travail va redevenir parfait, comme il l'avait toujours été et je pourrais rester avec Mira, vivre notre histoire qui vient à peine de naître.