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Ezéchiel

Mon regard se perd sur l'eau rougeâtre qui s'écoule lentement dans le lavabo, plus les secondes passent plus le liquide s'éclaircit tandis que je continue de frotter frénétiquement mes ongles pour enlever les dernières tâches compromettantes. J'aurais aimé ne pas devoir en arriver là mais rien n'y a fait, cette journée était tout simplement merdique. Je finis par m'ébrouer et couper l'eau avant de quitter les sanitaires. Mon regard glisse vers les portes battantes de la cuisine qui laissent entrevoir un beau bordel avant de me diriger vers la sortie, j'en profite au passage pour reprendre une gorgée de mon verre qui était resté sur l'une des tables.

L'alcool me réchauffe la gorge tandis que je rejoins l'extérieur. Après un bref coup d'œil pour m'assurer de l'absence de regard indiscret je décide de laisser la porte entrouverte. Ce détail inhabituel pour le restaurant traditionnellement fermé l'après-midi sauvera peut-être la vie de son propriétaire. Cette perspective me fait sourire, j'aime beaucoup trop jouer avec le destin et le hasard, offrir des petites opportunités et voir ce qu'il se passe. Le résultat est souvent décevant mais ma curiosité reste elle inchangée, je suis beaucoup trop joueur.

Alors que je rejoins ma voiture qui était garée derrière le restaurant je sors mon portable de la poche pour tenter de passer un coup de fil, pas moyen cependant de trouver du réseau. Quelle journée naze, pas de fric, pas moyen de joindre les autres et même donner des coups ne m'a pas détendu plus de dix secondes. Je tape rageusement sur le volant avant de me résigner face aux trois heures de conduite solitaire qui m'attendent. Peut-être que d'ici là je pourrais passer ce putain d'appel.

Forcément après le réseau c'est la batterie qui m'a lâché, ça sert à rien y a des jours comme ça où juste rien ne va. C'est ainsi que dès que j'ouvre la porte de l'appartement une voix curieuse me demande avec amusement :

— Alors, il a payé ?

— Non, dis-je en soupirant.

— Genre toi tu n'as pas été assez convainquant ?

— Faut croire. Ça fait un bail que je ne m'occupe plus de ce genre de chose, tu ferais mieux de trouver quelqu'un pour remplacer ce connard de Terry plutôt que de te foutre de moi.

John se retourne vers son écran d'ordinateur en pouffant tandis que je passe me prendre une bière dans la cuisine avant de m'avachir sur le petit canapé qui partage le salon avec le bureau de John. Je laisse mon regard courir sur la pièce et je n'ai qu'une hâte, me barrer de ce trou à rats. Seul le bruit des touches de clavier trouble le silence tandis que je me perds dans mes pensées. Ça faisait tellement d'année que je ne m'étais pas retrouvé en bas de l'échelle que j'ai l'impression d'avoir perdu tout mes repères. Tout ça parce qu'un gamin a finalement décidé de se dégonfler le moment venu. Je lève les yeux au ciel malgré moi tout en finissant ma bouteille, et dire que ce gosse n'a plus de jambes à l'heure qu'il est, comme quoi certains choix peuvent être hasardeux. Je crois que j'ai dû finir par m'assoupir quelques minutes car c'est la voix de John qui me faire revenir à moi.

— Ez ! Mate ça, j'ai fini !

J'étouffe un soupir avant de me lever pour le rejoindre devant son écran. Je lui pique la souris des mains et commence à naviguer sur le site qu'il codait.

— T'en penses quoi ?

Rien, c'est que du virtuel. Je comprends même pas comment c'est possible de récupérer autant de fric pour du vent.

— Ça a l'air cool. J'imagine que le boss sera content...

— T'abuse à t'en foutre. Ce que je créé c'est la vitrine de ton taf, tu pourrais au moins faire semblant de t'y intéresser.

Je hausse les épaules, pas moyen que je m'y intéresse plus que ça. Internet ça permet de faire plein de trucs mais j'ai aucune envie que ça vienne trop se mêler à mon taf, c'est vraiment le lieu qui nécessite une attention constante et où je comprends à peine comment ça marche. Je ne vais pas dire que c'était mieux avant, mais quand même... Soudainement je remarque l'heure qu'indique l'écran, bordel je suis en retard !

— Je dois y aller mec, Maria m'attends et vu l'heure elle va me tuer.

— J'comprends, dit-il en se marrant, on se voit demain ?

— Normalement ouais. A toute !

Je jette un dernier coup d'œil sur le site qui met en accès libre des extraits de vidéos, avant d'attraper mon téléphone qui chargeait pour commencer à rédiger un sms à ma sœur. Je vais être en retard pour le dîner et j'ai aucune envie de supporter ses reproches. Je glisse le portable dans ma poche en ignorant ses vibrations, visiblement les reproches commencent dès maintenant. Je soupire tout en me glissant dans la voiture, allez encore quelques heures de conduite et je serai chez moi à Gênes. 

TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant