Exilé - 2 -

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Au Royaume-Uni, les entraînements sont longs, fastidieux et nombreux. Le lot de tout olympien, après tout. J'étais bien, tout seul, sur le parcours, à jouer, apprécier les distances, le vent, la pente. Une autre forme de bulle, j'imagine, se développe alors et m'empêche de penser. C'est heureux.

A côté du sport et de la préparation aux Jeux Olympiques, il a fallu que je poursuive ma vie. Les Jeux ne sont qu'une parenthèse bénite au milieu d'un fil qui se déroule petit à petit. Je connais ma chance, mon travail se situe dans mon esprit. C'est une chance à mes yeux, même si beaucoup ne le comprennent pas.

Mes diplômes de philosophie en poche, il a bien fallu que je commence à penser à l'après. Il s'est transformé en une réflexion personnelle, permanente, progressive. Une écriture quotidienne, tout autant que je ne m'entraîne. Il a aussi fallu que je pense à mon confort. Une opportunité de poste de philosophe d'entreprise s'est ouverte dans une banque, alors je l'ai saisie.

Un salaire confortable pour penser l'organisation dans laquelle j'évolue, mais aussi pour penser la société et le monde, rien n'est plus en phase avec mes convictions profondes. Mes amis, ma famille, tous n'ont eu de cesse de se réjouir pour moi après, sans doute, des années d'inquiétude à ne pas comprendre comment, demain, je pourrai me nourrir.

Ne pas avoir à respecter d'horaires de bureau m'a permis de décider de m'entraîner un mardi et de travailler pour la banque un dimanche. Je choisis tout, puisque mon métier est dans mon esprit. Nulle part ailleurs, de fait. Dans les relations avec tout le personnel de l'entreprise, évidemment.

Hélas pour eux, ils ne sont que les atomes et les molécules du système dans lequel je les ai intégrés. Ce n'est pas méprisant – enfin, j'espère –, c'est simplement le jeu de ma pensée, je n'y peux rien. Elle se propage, elle se répand, je la laisse vivre. Parfois, elle construit un monde, le lendemain, elle le déconstruit.

Assis sur ce banc dans les jardins publics de Tokyo, je suis convaincu que je pourrais en créer un nouveau. M'inspirer du Japon pour améliorer tout ce que j'ai pu envisager pour cette banque. Je suis convaincu qu'il s'agit-là d'une des raisons justifiant mon autorisation d'absence.

Outre le fait qu'ils aient pu communiquer abondamment sur ma participation aux Olympiades, les ondes japonaises pourraient m'inspirer et, surtout, inspirer de nouvelles bonnes pratiques pour les activités bancaires. Un renouvellement de l'éthique de l'entreprise grâce à mon imprégnation civilisationnelle.

Je pense qu'ils auraient pu avoir raison. Si j'avais passé ces quinze jours à lire, à échanger, à rencontrer des professionnels, j'aurais été influencé. Mais j'étais ici pour concourir. Mon résultat est modeste, mais je n'en espérais pas plus. Être bon ou exceptionnel aux Jeux ne suffit pas.

Peu importe, en soi. J'ai désormais tout mon temps. J'espère qu'ils ont bien reçu mon message, en dépit du décalage horaire. Je suis en télétravail depuis le début de la pandémie, et cela ne changera pas durant le temps de mon préavis. Je crois que je devrai poursuivre pendant un mois, avant que ma démission ne soit actée. Un mois de télétravail depuis Tokyo donc.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant