Ma divinité - 2

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Je vois les milliers de morceaux virevolter tout autour des colonnes. Le verre, le cristal, le diamant s'il y en avait eu, tous explosent l'un après l'autre. Sans blesser qui que ce soit, puisque la place est vide. Il n'y a que moi. Au loin. Toujours à distance.

Lacrimosa dies illa,

Qua resurget ex favilla

Judicandus homo reus.

Huic ergo parce, Deus:

Pie Jesu Domine,

Dona eis requiem.

Lacrimosa Lacrimosa...

Je l'entends pleurer, s'effondrer. Comme si la divinité que j'ai tant adorée venait sous mes yeux, dans mes oreilles, libérer toutes les lamentations qu'elle a supportées. Parmi elles, les miennes, il y a encore quelques secondes.

Ah! Quel jour de tristesse et de larmes

Où l'Homme coupable,
s'élevant de ses cendres,

Doit être jugé.

Epargnez-le, Ô Dieu!

Jésus, Seigneur de Miséricorde

Donnez-leur le repos éternel.

Des larmes, des larmes...


Je fuis. Je fuis parce que je ne supporterai pas davantage ces cris. Je ne peux pas supporter de voir mon refuge s'effondrer. La maison qui m'a maintenu pendant des années est en train de se consumer. Je ne peux rien y faire. L'insupportable, l'intolérable, la douleur. Je fuis.

J'avance, rapidement, à l'image des autres passants. Ils sont rassurés. Ils me voient enfin leur ressembler. Je ne suis plus l'étranger qui reste admiratif devant un monument, alors que le temps que nous pouvons nous accorder à l'air libre est précieux. J'avance à leur rythme, ils ne se méfient plus de moi.

J'avance dans ces allées arborées, pour fuir les cris qu'il me lance. Ils me font trop de mal. Mais ils sont toujours là, toujours présents. Ils résonnent dans mon cœur. Quand ma divinité s'étiole, c'est mon être tout entier qui commence à se consumer. Irrésistiblement, je me retourne alors vers elle.

Même entouré de flammes de toutes les couleurs, il est si beau. Les colonnes résistent et peu à peu l'image redevient claire. Il n'a pas vacillé. Ses pleurs ont calmé les flammes. Rien n'est brûlé, rien n'est atteint. Les pierres sont toujours brunes et beiges. Les statues sont encore là. Il est triomphant.

Mais si lui s'en sort, malgré tout le Mal, je ne peux pas en dire autant. Je ne résisterai pas à son absence. Je ne pourrai pas tout perdre. Je veux bien sacrifier ma liberté pour le garder. J'aurais été prêt à tout pour ça.

Dans un cri, je cours donc entre au milieu du verre éparpillé.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant