Mon appartement est en train d'être vidé par des déménageurs en ce moment-même. Je ne sais pas comment vont le prendre mes parents, mes cousins et mes amis. A vrai dire, si je suis honnête avec moi-même, je ne porte pas d'intérêt à leur avis. Ni à leurs sentiments. Ou plutôt leurs ressentiments.
Bien sûr mes amis risquent de me manquer. Mais combien me feront un message quand ils auront reçu le courrier leur précisant, outre mon choix de quitter le Royaume-Uni, que je suis homosexuel ? Ma famille en a fait un non-événément. Hélas pas dans le sens que l'on pourrait espérer, celui d'un faux détachement qui voile l'acceptation, la fierté, l'indifférence positive.
Non, ma famille a considéré que cette annonce n'avait pas existé, qu'elle était un passage de leur vie à oublier. Comme s'il s'agissait là de leur vie. Ils n'ont décidément rien compris. Comment leur en vouloir, après ça, de n'avoir jamais lu un seul des textes que j'ai pu écrire par le passé.
La décision a été plus facile que je ne le croyais. Je leur ai dit au revoir dans une effusion de joie et de fierté malsaine. La fierté d'avoir un proche qui participait aux Jeux. Pas ma fierté d'avoir accompli après des années d'efforts tout ce que j'espérais autour de mon sport, de ma vie professionnelle et de mon intimité.
Certes, personne ne m'attendait, chez moi, à Londres. Je vis seul, sans compagnon. Ce n'est pas grave, je n'ai que vingt-cinq ans. J'ai le temps. Je ne suis pas pressé et, surtout, je refuse que quiconque puisse être un pansement. Je crois que c'est ainsi que l'on appelle les relations sans sentiments mais utilitaristes.
Je préfère largement l'honnêteté de cet athlète japonais qui, me confiant son désarroi, a ressenti le besoin d'être enlacé et embrassé. Il en fut ainsi, et je m'en réjouis. Ce n'était pas instrumental, puisque nous savions tous deux pourquoi nous étions là. Présents l'un pour l'autre sans que ce ne soit charnel ou durable.
Pas de compagnon, donc, une famille hors sol et des amis dont je doute. Le cocktail idéal pour considérer la bulle olympique comme une opportunité. Il suffit de regarder partout autour de moi : ma solitude ne sera plus la même entourée de tous ces mouvements, de la manière dont les gens virevoltent.
Finalement, les philosophes ne sont pas les plus sages. Sinon je ne serai pas là. A me sentir en exil alors que je l'ai choisi. C'est paradoxal, c'est une dissonance profonde et bien réelle. Sans doute parce que l'exil que j'ai choisi a été préparé pendant des années par les propos de ceux qui étaient autour de moi – et non de ceux qui m'entouraient –.
Heureux celui qui choisit l'exil. Sans doute pourrai-je écrire ceci au début de mon prochain livre. Peut-être s'agira-t-il d'une autobiographie. Je ne sais pas, je n'ai rien en tête. Rien n'a commencé, en réalité. Ce n'est que ce soir à minuit que je me sentirai au Japon. Pour l'instant, j'étais seulement dans une bulle qui appartenait au monde entier mais certainement pas à Tokyo.
Dès lors, je commencerai réellement à être un exilé. Accueilli par le Japon, et par les japonais. J'ai toujours son numéro de téléphone. Après tout, lui se sentait seul en étant au cœur des Jeux. Peut-être que je me sentirai seul en étant au cœur du Japon. A son tour devra-t-il alors me prendre dans ses bras.
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Les petites folies de Kerray (B&B)
RomanceComme promis, voici le recueil qui accueillera les différents OS que je serai amené à écrire de temps à autres, sur les personnages des précédentes histoires ou bien sur de nouveaux. Toute suggestion est la bienvenue !