Ma divinité - 1

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Je regarde le soleil, directement. Il me brûle, il me fait du bien, il m'aide à tenir. Il fait froid. Bien que plus que je ne l'avais imaginé. J'aurais dû mettre une écharpe. Le col roulé ne suffira pas à me protéger. Parce qu'il s'agit bien de cela, se protéger, tant bien que mal, malgré tout. C'est indispensable.

Je marche dans la rue d'un pas décidé, en regardant tout autour de moi. Il ne faut pas qu'ils s'approchent. Ils ne doivent pas être trop près, ce serait bien trop dangereux. Pour moi, pour eux, pour tout le monde. Je le sais depuis longtemps, il ne faut pas prendre de risques, ce serait absurde.

Je marche. Je remonte cette grande rue commerçante, qui ne l'est plus. Il n'y a plus rien, il n'y a qu'une errance. Je suis vraiment tout seul, dans un paysage qui ressemble davantage à la désolation qu'à une réelle balade. Finalement, ce n'était peut-être pas une bonne idée. Chez moi, il faisait chaud.

Je marche, toujours. Je découvre ma place favorite. Celle où l'Opéra triomphe. Mais il ne triomphe de rien, de personne. Les pierres brunes et beiges sont là, elles surpassent le temps, les Hommes. Mais personne ne les admire. Elle est là, la désolation. Alors, moi, je m'arrête, au milieu de la place.

Il y a au loin des âmes méfiantes. Elles parcourent les rues rapidement, comme si un danger ne pouvait pas les rattraper. Alors, évidemment, me voir ainsi réifié au milieu de la plus belle place du monde suscite des réactions. Des interrogations silencieuses, des mines suspicieuses.

Ils sont loin, ils ne risquent rien. Je ne veux de mal à personne. Je veux juste consoler cette incroyable institution dont les larmes invisibles me crèvent les yeux. Après les rayons solaires, ce sont les lamentations de l'Opéra qui atteignent directement le cœur de ma rétine. Comme si tout le bâtiment était vivant.

Je sais qu'il vit grâce à nous, quand nous y allons. Grâce à eux, quand ils chantant, jouent, dansent. Je sais combien il est vide actuellement. Le crève-cœur que tout cela représente. Je le sais. Le soleil continue sa course effrénée alors je suis contraint de me mouvoir également. L'horloge qui trône devant moi me permet d'avoir un peu d'ombre et d'ainsi contempler.

Contempler, implorer, incanter. L'Opéra est devenu une sorte de divinité vers laquelle se tourner quand plus rien n'est possible, quand plus rien n'est acceptable. Quand l'insupportable advient, nous n'avons plus d'autre choix. Il faut lever les yeux et les poser sur ce qui nous permet de rester à flots.

Hélas, en ce matin frileux, être là, en face de lui, ne suffit pas. Il faudrait tellement plus. J'aurais besoin d'être en lui, de me sentir entouré, enrobé. Comment pourrais-je faire sinon. Pourtant il est fermé, sans personne autour. Pendant que les autres passent, toujours aussi loin, s'interrogeant de ma soudaine immobilité.

Jusqu'à ce que les fenêtres se fendent. Jusqu'à ce que le verre se brise en un Lacrimosa.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant