Tout était doux - 2 -

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Je n'ai rien d'autre à faire qu'à rentrer. Je croise les secours sur le chemin, amusé. Oui, le sang se voit. Il y en a sur mon bonnet blanc, le long de ma joue, sur la fenêtre. Je préfère qu'il soit sur celle-ci. Il n'y en a pas sur la sienne. C'est l'essentiel. Je le sais en bonne santé. Juste parti loin de moi.

Il ne savait pas. Il ignorait que je venais tous les soirs. Peu importe l'heure de mon dernier rendez-vous. Je passais quelques minutes à une dizaine de mètres de lui pour le voir. Parfois, je le voyais saisir son téléphone et pianoter quelques mots. Je recevais alors à cet instant un message. Je lui manquais. Il me manque.

Pourquoi ne pas aller le voir ? Parce que ma présence l'aurait empêché de se concentrer sur sa vie professionnelle. Nous nous sommes rencontrés quand il était encore en faculté de droit. Ce jour-là, il fêtait dans le restaurant à côté de mon bureau ses vingt-trois ans. Un de ses amis m'a bousculé et, pour une raison que j'ignore, c'est lui qui s'excusa.

Il me baratina en me précisant qu'ils avaient sans doute un peu trop bu, ce qui était faux, et me supplia de les pardonner. Ils craignaient sans doute, avec mon physique et, ce jour-là, ma barbe mal rasée, que je veuille en découdre. Ma carrure n'est pas imposante, mais mes trente-neuf ans de l'époque, le tabac pendant bien trop d'années et l'usure du travail me donnent parfois un air aigri.

Je lui fis un sourire que je croyais salvateur. Pourtant, dix minutes après, je le vis revenir à ma table avec une bouteille de champagne.

« Encore navré de ce qui est arrivé. Je ne voudrais pas que la soirée se passe mal.

— Votre ami n'a fait que me bousculer. Le verre s'est répandu par terre, et non sur moi, c'est l'essentiel. Profitez de votre soirée, jeune homme. Et bel anniversaire à vous, si je comprends bien.

— Merci, Monsieur ».

La nuit suivante, j'avais terminé un de mes dossiers chez moi, sans penser une seule seconde à ce garçon. Cependant, le lendemain midi, alors que je m'empressais d'avaler un hot-dog pour pouvoir partir en réunion, il était encore là, dehors. Il entra en furie et me sauta littéralement dessus.

« Vous ne m'avez pas écrit ».

Il sentait l'alcool et sans doute aussi le cannabis. Depuis, il a arrêté. Non, je ne lui avais pas écrit. Comment faire ? Face à mon air interdit, il comprit et me chuchota, comme s'il devait être discret après avoir fait une entrée fracassante :

« Sur la bouteille. J'avais écrit mon pseudo Insta.

— Je ne l'avais pas vu, désolé.

— Il vous intéresse ? »

Je ne savais alors pas s'il me parlait du pseudo ou de lui. Je lui avais souri, il s'était empressé de se saisir mon téléphone, déverrouillé, pour m'abonner de force à son compte. Le téléphone déposé sur la table, il avait posé ses lèvres sur ma joue, toujours sans parole. Le baiser unilatéral dura dix secondes. Ce fut long, mais délicat.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant